Clara s’éveilla au son doux mais persistant de la pluie contre les fenêtres de son appartement. Cela faisait des années qu’elle n’avait pas pris le temps d’écouter ce genre de musique naturelle, trop occupée à jongler entre son travail, les attentes de ses parents et les besoins incessants de son compagnon, Marc. Elle se leva avec une lenteur délibérée, savourant chaque mouvement comme si elle redécouvrait la sensation d’habiter son propre corps.
Dans la cuisine, l’odeur familière du café fraîchement moulu la réconforta. Pendant que la cafetière glougloutait, Clara laissa son esprit vagabonder. À trente-deux ans, elle réalisait qu’elle avait toujours fait ce qu’on attendait d’elle, sans jamais se demander ce qu’elle désirait vraiment. Sa mère était venue passer une semaine chez elle récemment, pour soi-disant « l’aider » avec les tâches ménagères. En réalité, cela avait surtout consisté en une litanie de critiques déguisées en conseils : « Tu devrais apprendre à cuisiner plus sainement pour Marc », « Ta décoration est vraiment trop austère, ajoute des fleurs, cela mettra un peu de couleur », ou encore « Pourquoi ne pas faire quelque chose de tes cheveux ? ».
Marc, lui, n’était pas en reste. Il passait souvent la journée au travail, mais le soir, il avait l’art de transformer chaque dîner en une scène d’interrogation sur ses choix quotidiens. « Pourquoi fais-tu toujours les choses de cette façon ? », « Tu devrais essayer de faire plus d’efforts avec ma mère », ou encore « N’oublie pas que tu t’occupes tellement bien de nous, chérie ». Ces petits rappels constants de son soi-disant rôle sapaient lentement, mais sûrement, la maigre confiance qu’elle avait en elle-même.
Ce matin-là, pourtant, quelque chose était différent. Clara ne savait pas si c’était le son de la pluie ou le fait que sa mère était partie la veille, mais elle sentait une légèreté nouvelle en elle. Elle prit son café et s’installa sur le canapé, regardant dehors. Pour la première fois depuis longtemps, elle se permit de penser à ce qui, elle, la rendrait heureuse.
– « Peut-être que je pourrais retourner à la peinture », murmura-t-elle pour elle-même.
Elle avait abandonné la peinture, sa passion de jeunesse, pour des études de droit sous la pression familiale. Mais maintenant, à cet instant précis, elle sentait une envie irrépressible de reprendre les pinceaux. Alors qu’elle réfléchissait à cela, la clé tourna dans la serrure, et Marc entra, dégoulinant de pluie.
– « Salut », lança-t-il d’un ton distrait. « Tu as prévu quoi pour le dîner ce soir ? »
Clara sentit une vague d’irritation mêlée de résignation s’emparer d’elle. Elle savait que répondre de manière conciliatrice était sa façon habituelle de maintenir la paix, mais ce matin-là, une petite voix intérieure, nourrie par des heures de réflexion, lui murmurait d’essayer autre chose.
– « Je ne sais pas encore. Peut-être que tu pourrais t’en occuper ? », proposa-t-elle doucement, surprise par son propre courage.
Marc leva les yeux vers elle, visiblement surpris.
– « Je… euh, bien sûr. Je vais commander quelque chose, alors », répondit-il un peu décontenancé.
Clara sourit intérieurement. Ce n’était pas grand-chose, mais c’était un début. Le reste de la journée, elle s’accorda à explorer cette sensation de liberté nouvellement trouvée. Elle déterra ses vieux tubes de peinture et commença à esquisser quelques traits hésitants sur une toile vierge. Ce n’était pas encore ce qu’elle désirait, mais c’était un début.
Le lendemain, elle prit une décision importante. Elle appela sa mère.
– « Maman, je voulais te dire quelque chose », commença-t-elle d’un ton posé.
– « Oui, ma chère ? », répondit la voix familière à l’autre bout du fil.
– « J’ai besoin de prendre du temps pour moi. Je vais me remettre à la peinture. C’est quelque chose qui me tient à cœur. »
Il y eut un silence lourd, puis un soupir.
– « Oh Clara, tu sais que je veux le meilleur pour toi. Mais si c’est ce que tu veux vraiment… »
Clara inspira profondément.
– « Oui, c’est ce que je veux vraiment. »
En raccrochant, elle se sentit un peu plus légère, comme si elle avait réussi à dénouer un vieux nœud serré depuis trop longtemps. Ce n’était qu’un pas, mais chaque pas compte quand on commence à marcher sur le chemin de la liberté retrouvée.