Le petit café au coin de la rue était presque vide cet après-midi-là, à l’exception de quelques clients solitaires tapotant distraitement leurs téléphones. Marie s’installa à une table près de la fenêtre, cherchant un refuge contre la pluie fine qui avait commencé à tomber. Elle déposa son livre sur la table et se perdit dans ses pensées, une habitude vieille de plusieurs décennies.
C’était un vieux livre de lettres, relique d’un temps passé, un vestige d’une époque où elle partageait ses rêves avec quelqu’un d’important. Une époque où elle n’était pas encore ce qu’elle est devenue, marquée par les années et les expériences. En feuilletant distraitement ses pages, elle se remémora les mots échangés et les promesses murmurées, jusqu’à ce que la clochette de la porte d’entrée résonne doucement.
Elle leva les yeux par réflexe, et son souffle se coupa un instant. Là, debout dans le cadre de la porte, se tenait Julien. Les ans l’avaient aussi transformé, mais ses yeux conservaient cette lueur familière, celle qu’elle avait presque oubliée. Il s’arrêta un moment, son regard balayant la salle avant de la reconnaître. Une hésitation, puis un sourire timide et presque incrédule éclaira son visage.
Marie sentit un mélange d’appréhension et de nostalgie l’envahir. Elle fit un petit signe de la main et Julien s’approcha lentement, comme s’il craignait que tout cela ne soit qu’un rêve éphémère sur le point de se dissiper. « Marie, » dit-il, sa voix plus grave mais toujours aussi douce. « Ça fait… si longtemps. »
« Oui, si longtemps, » répondit-elle, cherchant ses mots. Ils s’assirent sans trop savoir par où commencer, les années de silence suspendues entre eux comme un voile invisible.
Les premières minutes furent ponctuées de silences ponctués de regards échangés, chacun tentant de retrouver l’autre à travers les couches de temps et de souvenirs. Ils commandèrent des cafés, et peu à peu, la conversation prit forme, hésitante mais pleine d’une authenticité fragile.
« Tu te souviens de nos lettres ? » demanda Julien, regardant le livre sur la table.
Marie hocha la tête, touchant la couverture du bout des doigts. « Oui. Parfois, je me demande ce que seraient nos vies si nous avions continué à écrire. »
Julien acquiesça, le poids des regrets partagés se faisant sentir. « J’ai souvent pensé à toi. À ce qu’on aurait pu être. »
Leurs paroles flottaient dans l’air, empreintes à la fois de chagrin et d’une douce réminiscence. Ils parlèrent de leurs vies, de leurs choix, des chemins qu’ils avaient empruntés séparément. Les années s’effaçaient peu à peu, et avec elles, la distance qui les avait séparés.
« Je me souviens du jour où tu m’as dit que tu partais, » dit Marie doucement. « J’ai pleuré durant des jours. »
Julien baissa les yeux, son visage marqué par un regret persistant. « Je n’ai jamais voulu te blesser. J’ai pensé que c’était la meilleure chose à faire. Je n’avais pas la force de… »
La phrase resta inachevée, et Marie comprit que le passé était parfois difficile à verbaliser. « C’est du passé désormais, » dit-elle, offrant un sourire réconfortant. « Nous sommes ici maintenant. »
Julien lui rendit son sourire, et un silence apaisant s’installa, non plus lourd de gênes mais rempli d’une compréhension retrouvée. Ils étaient là, deux âmes ayant souffert et appris, chacune à sa manière, assises ensemble pour redécouvrir une connexion oubliée.
Au fil des heures, la pluie s’estompa et le café se vida peu à peu. Julien et Marie continuèrent de parler, avec une aisance croissante, comme si les années d’absence n’avaient jamais existé. Ils évoquèrent leurs rêves, leurs regrets et leurs espoirs, savourant ce moment de paix retrouvée.
Quand ils quittèrent le café, la nuit avait commencé à tomber, mais l’obscurité n’avait plus ce goût amer de solitude. Ils se promirent de rester en contact et, cette fois, ils savaient que les mots échangés trouveraient un écho.
Dans la rue, Julien prit la main de Marie un instant, la serra doucement, puis la relâcha, sans besoin de plus de mots. C’était un geste simple mais empli de symbolisme, une promesse silencieuse entre deux amis qui s’étaient retrouvés malgré le temps et les circonstances.