Camille se tenait devant la fenêtre de la cuisine, regardant fixement le jardin à l’extérieur. Elle pouvait entendre le murmure constant de sa mère dans le salon, se plaignant une fois de plus de la manière dont Camille avait disposé les coussins sur le canapé. C’était toujours quelque chose. Depuis qu’elle avait emménagé chez ses parents pour aider après la chute de son père, elle avait l’impression de se noyer dans des attentes et des jugements silencieux.
Chaque jour se déroulait comme le précédent. Le réveil qui sonnait à 7h, les petits déjeuners préparés à la va-vite, les courses avec sa mère qui critiquait chaque choix d’article, et les dîners où le silence était ponctué par des remarques passives-agressives de son père. “Tu devrais penser à te marier, Camille. Le temps passe, tu sais.”
Elle hochait la tête, répondant par des sourires forcés et des excuses anodines. À chaque commentaire dévalorisant, elle sentait son cœur se fermer un peu plus, telle une fleur se recroquevillant pour se protéger du froid.
Le bruit de la sonnette la fit sursauter, la ramenant au présent. Elle alla ouvrir et découvrit son amie d’enfance, Sophie, avec un sourire chaleureux et un café à emporter dans chaque main. “Surprise! Je me suis dit que tu avais besoin de sortir un peu.”
Camille hésita un instant, jetant un regard vers le salon où sa mère discutait maintenant froidement avec son père. “Je ne sais pas si je peux, Sophie.”
“Allez, juste une heure. Cela te fera du bien,” insista Sophie, posant le café dans ses mains.
Après tout, Camille pouvait bien prendre un peu de temps pour elle. Elle attrapa son manteau, ignorant le regard désapprobateur de sa mère, et sortit avec Sophie.
Dans le café local, l’arôme riche et la chaleur enveloppante commencèrent à détendre Camille. Elle et Sophie bavardèrent de tout et de rien, mais Sophie, tout en remuant son café, aborda finalement le sujet qu’elles évitaient depuis des mois. “Tu sembles différente, Cam. Pas dans le bon sens. Qu’est-ce qui se passe?”
Camille se mordit la lèvre. “Je suppose que je suis juste fatiguée, tu sais. C’est difficile de tout gérer ici.”
Sophie la regarda avec insistance. “Ce n’est pas que ça, n’est-ce pas? Tu as l’air… éteinte. Ce n’est pas toi.”
Camille sentit sa gorge se serrer, les mots qu’elle avait refoulés pendant si longtemps se bousculant contre ses lèvres. “Parfois, je me sens invisible, Soph. Comme si peu importe ce que je fais, ça ne suffit jamais.”
Sophie posa sa main sur celle de Camille avec empathie. “Tu mérites mieux que de te sentir comme ça. Tu as toujours été si forte.”
Ces mots résonnèrent en elle. Forte. Elle avait oublié ce que cela signifiait d’être forte. En rentrant chez elle, ces mots continuaient de tourner dans sa tête.
La journée suivante, alors qu’elle rangeait la vaisselle, sa mère vint lui faire une remarque sur la façon dont elle avait préparé le dîner. Cette fois, quelque chose changea en Camille. Elle se redressa, regarda sa mère dans les yeux et dit calmement, “Maman, je fais de mon mieux, et c’est suffisant.”
Le silence qui suivit était lourd de surprise, mais Camille ressentit une vague de libération intérieure. C’était à peine un geste, mais pour elle, c’était monumental.
Elle passa la semaine suivante à réfléchir à d’autres moyens de se retrouver elle-même. Elle reprit son journal, qu’elle avait délaissé, commença à prendre de petites pauses pour lire, et s’assura d’avoir des moments de solitude pour penser.
Un dimanche matin, elle prit une décision. Elle alla voir ses parents et leur annonça qu’elle avait besoin d’espace pour respirer et qu’elle envisageait de reprendre son appartement. Son père hocha la tête en silence, sa mère sembla vouloir répliquer, mais quelque chose dans le regard résolu de Camille l’en dissuada.
Ce fut ainsi que, par petites étapes, Camille commença à reconstruire sa vie selon ses propres termes. Ce n’était pas une révolution flamboyante, mais une série de petites révoltes personnelles qui lui redonnèrent le contrôle.
Pour la première fois depuis longtemps, elle se sentit chez elle dans sa propre peau.