La pluie tombait en rideaux drus, tambourinant contre les fenêtres du petit appartement parisien. Justine observait les gouttes s’écraser et glisser le long des vitres, dansant au rythme du vent. Elle se tenait dans la cuisine, un espace étroit rempli de souvenirs, certains doux, d’autres un peu acides. Julien, son compagnon, était parti travailler tôt, comme d’habitude, et elle était seule, avec ses pensées et ses doutes.
Chaque matin, Justine préparait le petit déjeuner pour Julien. C’était devenu une routine mécanique : le café noir, les tartines beurrées. Elle s’assurait que tout soit parfait, que rien ne manque. Ce rituel, jadis empreint de tendresse, s’était transformé en une obligation silencieuse, un symbole de son dévouement souvent pris pour acquis.
Elle se souvenait des premières années de leur relation, celles où le rire était facile et la complicité évidente. Puis, petit à petit, elle s’était effacée, cédant à ses attentes, à celles de leurs familles, à un moule qu’elle n’avait pas choisi mais dans lequel elle s’était coulée par amour, par peur de décevoir.
Ce matin-là, cependant, quelque chose avait changé. Le ciel était gris, mais Justine sentait une étincelle en elle, une force qu’elle n’avait pas ressentie depuis longtemps. Elle se regarda dans le petit miroir de la salle de bain, contemplant son reflet. Ses yeux, autrefois pétillants, semblaient plus ternes. Elle prit une profonde inspiration. Il était temps de revendiquer son espace, son droit d’être.
La journée s’écoula lentement, et Justine s’immergea dans ses pensées, réfléchissant à ce qu’elle voulait réellement. Son téléphone vibrait de messages, des invitations de sa mère, des questions anodines mais insistantes : “Pourquoi ne viens-tu pas plus souvent ?”, “Qu’est-ce que vous attendez pour vous marier ?”. Des attentes implicites qui pesaient comme un fardeau sur ses épaules.
Justine alluma son ordinateur, naviguant sur un site de cours en ligne. Depuis toujours, elle avait rêvé d’écrire, de créer, mais elle avait refoulé cette envie, trop préoccupée par la nécessité de satisfaire les autres. Elle cliqua sur « Inscription », son cœur battait plus vite. C’était un petit pas, mais il symbolisait beaucoup.
Le soir venu, Julien rentra, éreinté par sa journée. La routine habituelle s’ensuivit : un dîner rapide, des conversations évasives. Pourtant, Justine se sentait différente. Leurs échanges manquaient de chaleur, et elle ne pouvait plus ignorer le vide entre eux.
Après le repas, ils s’installèrent dans le salon. La télévision diffusait un programme quelconque, et le silence pesait. Justine se tourna vers Julien, sa voix plus ferme que d’habitude : “Julien, j’aimerais qu’on parle.”
Il leva les yeux, surpris par le ton de Justine. “Qu’est-ce qui se passe ?” demanda-t-il, une pointe d’inquiétude dans la voix.
“Je me sens… perdue,” avoua-t-elle. “J’ai l’impression de vivre pour les autres depuis trop longtemps. Je dois me retrouver, me recentrer.”
Julien resta silencieux, absorbant ses mots. C’était la première fois qu’elle exprimait aussi clairement son besoin de changement.
Justine continua, sa voix tremblante mais déterminée : “J’ai envie d’écrire, de suivre ce cours. Je… j’ai besoin de soutien, de compréhension.”
Le silence se prolongea, lourd de tension. Enfin, Julien parla, son ton adouci : “Je comprends. Je n’avais pas réalisé que tu te sentais comme ça. Je veux te soutenir, vraiment.”
Justine sourit, une lueur d’espoir dans les yeux. C’était le début d’une nouvelle ère, un pas vers l’autonomie qu’elle avait laissé s’échapper depuis trop longtemps.
Elle se leva et alla vers la fenêtre, observant la pluie qui continuait de tomber, lavant le monde de ses impuretés. Pour la première fois depuis longtemps, elle se sentait libre, prête à embrasser ce qu’elle était véritablement.