Lorsque Sofia rentra chez elle ce vendredi soir, elle sentit un étrange frisson le long de sa colonne vertébrale. Une sensation désagréable, presque imperceptible, mais qui ne cessait de grandir depuis quelque temps. Damien, son partenaire depuis cinq ans, était assis dans le salon, le regard rivé sur son téléphone portable. Il s’était toujours montré attentionné et aimant, mais ces derniers mois, il semblait être ailleurs, mentalement.
« Salut, Sofia », dit-il sans lever les yeux.
Ce salut automatique, presque robotique, commençait à devenir familier. Sofia en eut le cœur serré mais ne dit rien. Elle déclina l’invitation de Damien à dîner, prétendant être épuisée par sa journée de travail. Au lieu de quoi, elle s’enferma dans la chambre, la tête pleine de doutes.
Les petits comportements décalés de Damien s’accumulaient. Il rentrait tard sans explication, ses histoires sur ses journées de travail étaient vaguement incohérentes, et lorsqu’ils sortaient avec des amis, il s’isolait souvent pour prendre des appels soi-disant « urgents ». Sofia se demanda si elle devenait paranoïaque ou si elle avait raison de voir quelque chose de sinistre.
Un samedi matin, alors que Damien s’était encore éclipsé, Sofia fut prise d’une impulsion presque désespérée. Elle fouilla dans le tiroir de son bureau. Elle y trouva un carnet. Le carnet rouge qu’il tenait depuis des années, griffonnant des idées pour ses projets de travail. À sa surprise, elle découvrit de petites notes, des fragments de phrases : « Le week-end prochain… L’autre voyage… Plus jamais… »
Ces fragments ne faisaient aucun sens. Qu’est-ce que cela pouvait signifier ? Sofia sentit une douleur sourde au creux de l’estomac. Elle reposa le carnet, comme si elle avait découvert une pièce à conviction dans une affaire qui la terrifiait.
À plusieurs reprises, elle tenta d’aborder le sujet. Elle s’asseyait en face de Damien, lui posant des questions sur son travail, ses appels incessants, ou ses absences mystérieuses. Chaque fois, il offrait des réponses vagues, des sourires rassurants mais creux.
Une nuit, alors qu’elle ne parvenait pas à trouver le sommeil, Sofia descendit dans le salon. Elle trouva Damien assoupi sur le canapé, la télévision allumée. Le visage fatigué, mais paisible. Prise d’un élan d’amour et de peur, elle s’approcha de lui, caressa doucement sa joue.
Il murmura un nom dans son sommeil. « Clara… »
Sofia figea. Les battements de son cœur résonnaient à ses oreilles. Ce n’était pas un nom qu’elle connaissait. Pas un nom qui faisait partie de leur vie commune. Elle recula lentement, effrayée par l’ampleur de sa propre imagination.
Les jours suivants, Damien s’absenta plus que jamais. Ses excuses sonnèrent creux, comme un fond sonore déjà entendu trop souvent. Sofia décida alors d’agir. Elle se rendit à l’endroit où il disait travailler. Elle s’assit dans un café en face, un air détaché mais le cœur plein d’attente.
Elle vit alors Damien sortir du bâtiment, souriant, accompagné d’une femme qu’elle n’avait jamais vue. Ils marchèrent le long de la rue, leurs ombres fusionnant sous le soleil éclatant. Ils semblaient heureux, complices, comme s’ils avaient un monde que Sofia ne connaissait pas.
Le choc la frappa de plein fouet. Elle rentra chez elle, le cœur brisé. Elle ne confronta pas Damien tout de suite. Comment pourrait-elle ? Elle l’aimait de tout son être, et pourtant, une vérité insupportable s’était révélée sous ses yeux.
Une semaine passa avant qu’elle ne trouve le courage de lui parler. « Damien, nous devons discuter », dit-elle d’une voix tremblante.
« De quoi veux-tu parler ? » répondit-il, évitant son regard.
« De toi… de nous… et de Clara », dit-elle.
Il pâlit, comme si son monde venait de s’effondrer.
« Comment tu sais ? » murmura-t-il, la voix brisée.
La conversation fut longue, remplie de larmes et de regrets. Damien lui avoua qu’il menait une double vie, piégé par ses propres mensonges. Clara était une collègue devenue plus que cela, une échappatoire à une vie dont il ne se sentait plus maître.
Sofia écouta, le cœur lourd. Elle réalisa qu’ils s’étaient perdus l’un l’autre bien avant de le savoir. Elle ne put que constater que ce qu’ils avaient construit ensemble n’était plus réel.
Elle quitta l’appartement ce soir-là, cherchant à se reconstruire, à retrouver la lumière après l’ombre. Elle n’avait pas de réponses à tout, mais elle savait qu’elle méritait la vérité et le respect.
Une part d’elle espérait qu’un jour, la douleur s’estomperait, et qu’elle pourrait à nouveau croire en l’amour, sans ombre ni mensonge.