Depuis des années, Camille avait tout fait pour plaire à Paul, ignorant ses propres rêves et désirs. Chaque matin, elle se perdait un peu plus dans les attentes démesurées de son mari, espérant qu’un jour il reconnaîtrait ses sacrifices. Mais ce jour ne vint jamais. Au lieu de cela, les mots de Paul résonnaient comme des coups, chaque commentaire désobligeant un clou de plus dans le cercueil de son amour propre.
« Pourquoi le dîner n’est-il pas prêt ? Tu sais à quelle heure je rentre, non ? » demandait Paul un soir en rentrant du travail, à peine entré dans la maison.
« J’ai eu une journée difficile, Paul. Le patron m’a demandé de rester tard. Je me suis dépêchée autant que possible », répondit Camille avec une fatigue palpable.
« Et moi alors ? Je travaille aussi dur que toi et je m’attends à rentrer chez moi avec un repas prêt. Ce n’est pas demander la lune. »
Les petits reproches et les attentes de Paul s’accumulaient, formant une montagne d’insatisfaction. Camille se sentait étouffée sous le poids de cette montagne jusqu’au jour où, lors d’une sortie en famille, elle entendit sa nièce, âgée de dix ans, dire innocemment : « Tatie Camille, pourquoi tu t’occupes toujours des autres et jamais de toi-même ? »
Ces mots résonnèrent en elle comme un écho libérateur. C’était la première fois que quelqu’un voyait la situation avec autant de clarté. Ce fut l’étincelle nécessaire pour enflammer le courage endormi en elle.
Cette nuit-là, Camille attendit que Paul rentre à la maison. Elle ne prépara pas le dîner, ne s’affaira pas avec les tâches domestiques. Au contraire, elle prépara ses pensées et son cœur pour la confrontation inévitable.
« Paul, on doit parler », dit-elle d’une voix calme mais déterminée lorsqu’il franchit la porte.
« Parler de quoi ? » demanda-t-il distraitement en retirant son manteau.
« De nous. De qui je suis et de ce que je deviens. Des attentes qui m’écrasent. »
Paul la regarda, étonné par cette hardiesse inhabituelle. « Écoute, si c’est à propos du dîner… »
« Non, Paul. C’est à propos de moi, de ma vie, de ce que je veux. Je ne peux pas continuer à vivre uniquement pour satisfaire tes désirs. »
La conversation se prolongea tard dans la nuit, Paul se défendant d’être injuste, mais Camille, pour la première fois, ne céda pas. Elle exprima ses besoins, ses rêves, sa douleur.
Quelques semaines plus tard, Camille décida de prendre du recul et de s’offrir un séjour seul, pour réfléchir sur leur mariage et son avenir. Paul, interpellé par cette prise de position, commença à se remettre en question. Il comprit peu à peu que l’amour ne se mesurait pas en service rendu mais en respect et en soutien mutuel.
Camille avait enfin trouvé sa voix et, avec elle, la liberté de décider de sa vie. Quoi qu’il advienne de leur couple, elle avait déjà gagné la bataille la plus importante : celle de sa propre valeur.