Camille ouvrit les yeux avec une lourdeur inhabituelle. La lumière du matin se glissait timidement à travers les rideaux de sa chambre, lançant des éclats dorés sur le parquet. Elle sentit le poids de son existence peser sur elle, une masse invisible qu’elle avait appris à tolérer, jour après jour.
Elle se leva de son lit, les pieds nus sur le sol froid, et se dirigea vers la salle de bain. Dans le miroir, une femme de vingt-neuf ans aux traits tirés la regardait fixement. “Aujourd’hui, c’est dimanche,” se dit-elle, comme pour se rappeler de la routine du jour.
En bas, sa mère, Élise, s’affairait déjà en cuisine. L’odeur du café frais flottait dans l’air, familière et apaisante. “Camille, le petit déjeuner est prêt,” annonça Élise sans se retourner. C’était l’une des nombreuses phrases automatiques de leur quotidien, une routine bien huilée qu’elles partageaient depuis des années.
Camille s’assit à la table, où tout était déjà disposé : pain, confiture, beurre. “Merci,” murmura-t-elle, tout en prenant une tranche de pain. Sa mère parlait de la pluie et du beau temps, du voisin qui avait encore mal garé sa voiture, des petits tracas banals qui emplissaient leur vie.
Toutefois, ce matin était différent. Camille ressentait en elle une agitation sourde, comme une mer intérieure en pleine tempête. La voix de sa mère devenait un brouhaha indistinct. Elle se surprit à penser : “Est-ce que c’est tout ce que la vie a à offrir ?” Cette question, qui l’avait effleurée à plusieurs reprises, semblait aujourd’hui insoutenable.
Après le petit déjeuner, Camille sortit pour une promenade. Elle aimait marcher jusqu’au parc, où les arbres offraient un abri temporaire à sa tourmente intérieure. Elle s’assit sur son banc habituel, observant les enfants jouer, les couples se promener main dans la main. Une vague de solitude l’envahit.
Plus tard dans la journée, elle rencontra son amie Léa pour un café. Léa était tout ce que Camille n’était pas : spontanée, vibrante, pleine de passion. “Tu sembles ailleurs aujourd’hui,” observa Léa en sirotant son cappuccino.
Camille haussa les épaules. “Je sais pas… Je me sens étouffée. Comme si quelque chose devait changer, mais j’ignore quoi.” Léa la regarda intensément, cherchant les mots justes.
“Parfois, on a besoin de prendre du recul pour voir ce qui nous manque,” dit-elle finalement. “Peut-être que tu devrais essayer quelque chose de nouveau. Une activité, un voyage, n’importe quoi qui te permettrait de te retrouver.”
Ces mots résonnèrent longtemps dans l’esprit de Camille. Le soir, alors qu’elle se tenait devant la fenêtre de sa chambre, regardant les lumières de la ville scintiller au loin, elle comprit que le changement devait venir d’elle-même.
Les jours suivants, elle commença à faire de petites choses différemment. Elle s’inscrivit à un cours de photographie, une passion qu’elle avait abandonnée. Elle commença à dire “non” aux requêtes de sa mère qui ne lui convenaient pas, un mot simple mais chargé de signification.
Un soir, alors que sa mère lui demandait de l’accompagner à un dîner de famille qui l’angoissait, Camille se tourna vers elle. “Je ne viendrai pas,” dit-elle, sa voix ferme malgré la nervosité qui bouillonnait en elle.
Élise la regarda, surprise. “Pourquoi pas ? Tu sais que ça signifie beaucoup pour ton oncle.”
“Je sais,” répondit Camille doucement. “Mais je ne peux plus vivre en fonction des attentes des autres. J’ai besoin de temps pour moi, pour comprendre qui je suis.”
C’était une petite décision, mais elle représentait un immense pas en avant. Camille sentit une légèreté nouvelle, un début de liberté qui lui donnait enfin l’air de respirer autrement. Elle réalisait qu’il était possible de se choisir soi-même sans culpabilité, que dire non pouvait être le commencement d’un oui à elle-même.
Ce soir-là, elle s’endormit avec le sourire. La route serait longue, mais elle avait fait le premier pas.