Les Silences Retrouvés

Michel avançait le long du quai de la gare, le bruit sourd des trains résonnant en écho dans ses souvenirs. Autrefois, ce même quai avait été le théâtre de leurs adieux, il y a plus de trente ans. Alors, c’était l’automne; les feuilles rouges et dorées avaient virevolté autour d’eux, emportant avec elles leurs promesses inachevées.

Il était revenu dans cette ville pour une conférence, un retour inattendu aux origines. Les rues avaient changé, mais le poids du passé restait intact. Il aperçut Sophie par hasard, à l’autre bout de la salle d’attente. Elle était assise près de la fenêtre, son regard perdu dans la danse des nuages. Un flot d’émotions contradictoires le submergea : la joie, la nervosité, cette vieille douleur dormant au fond de sa poitrine.

Sophie n’avait pas beaucoup changé. Ses cheveux étaient plus courts, parsemés de fils d’argent, mais elle conservait cette élégance sereine qui l’avait toujours fascinée. Il hésita un instant, partagé entre le désir de s’approcher et la crainte de rouvrir de vieilles blessures.

Il finit par s’asseoir à quelques sièges d’elle, son cœur battant avec une vigueur incongrue. Soudain, comme si elle avait senti sa présence, elle tourna la tête. Leur regard se croisa, et le temps sembla suspendu. Pas un mot ne fut échangé, mais une chaleur douce envahit l’espace entre eux.

Après de longues minutes de ce silence partagé, il s’avança lentement vers elle. “Sophie,” dit-il simplement, un sourire timide étirant ses lèvres.

Elle le regarda, des larmes brillantes dans les yeux. “Michel,” répondit-elle, avec une douceur teintée de tristesse.

Les mots hésitèrent à sortir, comme si les années de silence avaient laissé des empreintes trop profondes. Pourtant, assis là, une conversation muette s’engagea, faite de regards et de demi-sourires.

Ils parlèrent enfin, lentement, comme des étrangers redécouvrant des chemins oubliés. Ils évoquèrent leurs souvenirs communs, ces étés passés à rire, ces livres échangés, l’insouciance d’une époque qui paraissait si lointaine.

“Pourquoi… pourquoi avons-nous cessé de nous parler?” demanda-t-elle finalement, une question à la fois simple et lourde de sens.

Michel baissa les yeux. “Le temps… les malentendus,” murmura-t-il. “La vie nous a emportés dans des directions différentes.”

Sophie hocha la tête. “Oui, je suppose. Pourtant, j’ai souvent pensé à ce que nous avions, à ce que nous avons perdu.”

Il plongea son regard dans le sien, cherchant à y lire ce qu’il n’avait pas su comprendre autrefois. “Sophie, je suis désolé,” dit-il enfin, sa voix brisée par le regret.

Elle tendit la main, et il la prit sans hésitation. Ce geste simple, amical, fut chargé d’une tendresse qui effaçait doucement les années d’éloignement.

Ils parlèrent jusqu’à ce que l’annonce du train de Michel résonne dans la gare. Il était temps de partir, mais cette fois-ci, l’adieu avait une teinte différente, moins amère, presque apaisée.

Avant qu’il ne monte dans le train, Sophie lui sourit. “N’attendons pas encore trente ans,” dit-elle, son regard brillant d’une nouvelle détermination.

Michel acquiesça, le cœur plus léger. “Non, pas cette fois,” répondit-il, convaincu.

Le train s’ébranla doucement, et tandis qu’il s’éloignait, il aperçut Sophie, debout sur le quai, lui adressant un signe de la main. Ce n’était pas un au revoir, mais le début d’une nouvelle histoire, où chaque souvenir précieux trouvait enfin sa place.

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