Les Rives du Temps

Le matin était encore jeune lorsque Marie entra dans le café du coin à la recherche d’un moment de répit. Elle ne s’attendait pas à rencontrer quelqu’un aujourd’hui, encore moins lui. Les rayons du soleil s’étiraient à travers les vitres, déposant une douce lueur dorée sur les tables en bois. Elle se dirigea vers le comptoir, le son familier des grains de café grinçant sous la machine lui offrant une étrange forme de réconfort.

En se retournant avec une tasse fumante entre les mains, elle aperçut un visage du passé — vieilli mais toujours reconnaissable, comme une photo légèrement fanée par le temps. C’était Étienne, assis seul, plongé dans un livre dont le titre lui échappait. Leurs regards se croisèrent, et une vague de souvenirs enfouis depuis longtemps jaillit dans l’esprit de Marie.

Étienne leva les yeux, surpris tout d’abord, puis une expression d’incrédulité traversa son visage avant de s’adoucir en un sourire hésitant. Ils n’avaient pas échangé un mot depuis près de trois décennies. À l’époque, ils étaient inséparables, pas amants, mais des amis que la vie avait éloignés par des événements imprévus et des choix de vie.

Marie s’avança lentement, chaque pas marqué par une hésitation palpable. Étienne se leva, serrant son livre contre lui, comme un bouclier qu’il abaissa en voyant Marie s’approcher. “Marie,” dit-il, sa voix un peu rauque par l’émotion.

Elle répondit avec un simple “Bonjour, Étienne,” se demandant fugitivement si elle était prête à rouvrir un chapitre qu’elle pensait définitivement clos.

Ils s’assirent à une table près de la fenêtre, la lumière dessinant des ombres délicates sur leurs visages. Un silence s’installa, non pas oppressant, mais chargé d’un mélange d’appréhension et d’anticipation. Marie regarda par la fenêtre, observant les passants se hâter dans la rue, un monde qui continuait de tourner sans se soucier des retrouvailles silencieuses qui se déroulaient ici.

Enfin, Étienne brisa le silence, “Ça fait longtemps.” Une phrase évidente, mais qui portait le poids de ce qu’ils avaient perdu.

“Oui,” répondit Marie, jouant distraitement avec sa tasse. “Je me demande pourquoi nous avons laissé le temps nous dérober autant.”

Étienne hocha la tête, partageant le sentiment sans prononcer un mot. Il savait que les raisons importaient peu désormais, ce qui comptait, c’était ce moment, cette chance offerte par le destin.

Ils commencèrent à parler, évoquant timidement les souvenirs de jadis, les promenades le long des quais de la Seine, les discussions interminables sous les étoiles. Puis, inévitablement, la conversation glissa vers ce qui les avait éloignés — une dispute insignifiante puis transformée en un mur infranchissable par l’orgueil et le temps.

Étienne se lança, “Je suis désolé,” dit-il, ses yeux reflétant une sincérité que Marie n’avait jamais vue auparavant. “Pour tout.”

Elle prit une profonde inspiration, chassant les restes de rancune qu’elle avait peut-être entretenus inconsciemment. “Moi aussi, Étienne.”

Les mots étaient simples, mais ils effaçaient des années de silence, de regrets. Leurs discussions dérivèrent vers le présent — leurs familles, leurs travails, les hauts et les bas de la vie. Ils découvrirent des points communs qu’ils n’auraient jamais imaginés et, au fur et à mesure que le temps passait, la gêne initiale se dissipa, remplacée par une familiarité retrouvée.

Les heures passèrent comme des minutes, et finalement, le moment de se séparer arriva inévitablement. Ils échangèrent leurs coordonnées, une promesse tacite qu’ils ne laisseraient plus les années les éloigner.

Alors qu’ils se levèrent pour partir, Étienne proposa, “Reprenons un café ensemble, la semaine prochaine ?”

Marie acquiesça, un sourire éclairant son visage. “Avec plaisir,” répondit-elle.

À cet instant, elle sut que, même si le passé ne pouvait être changé, l’avenir leur offrait une seconde chance, et c’était suffisant.

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