Marie aimait cet endroit depuis toujours. Elle se souvenait de ce carrefour entre deux ruelles du Vieux Lyon où elle se perdait souvent dans ses pensées. Le vieux lampadaire, qui restait allumé bien après l’aube, était l’un de ses repères favoris. Un banc en fer forgé, usé par le temps, lui offrait souvent une pause. En ce matin d’automne, elle s’y arrêta, emmitouflée dans son manteau gris, le visage caressé par une brise douce.
Elle venait de cette exposition de peinture où elle s’était laissée bercer par les couleurs et les souvenirs. Une toile en particulier avait réveillé en elle une vive mélancolie. Une scène d’enfance, un terrain de jeux, et à l’ombre des vieux chênes, deux enfants courant, riant, perdus dans leur monde. La signature du tableau, elle la connaissait bien. Jean.
Ils s’étaient perdus de vue depuis tant d’années. La vie, avec ses détours et ses surprises, les avait séparés. Jean, son voisin d’enfance, son complice. Ils partageaient des secrets, des rêves, et l’insouciance d’une époque où tout semblait simple. Jusqu’au jour où, sans raison apparente, leurs chemins s’étaient séparés.
Elle se remémorait leur dernière rencontre. Ce jour où ils s’étaient disputés pour une broutille, une simple incompréhension, mais qui avait laissé un fossé insurmontable. Les excuses n’étaient jamais venues, la fierté avait pris le pas sur leur amitié.
Jean, de son côté, errait souvent dans ce même quartier. Chaque matin, il passait par cette place en espérant un jour la revoir. L’exposition, il l’avait aussi visitée quelques jours plus tôt. Et comme un signe du destin, il avait ressenti ce même élan de nostalgie à la vue de son tableau.
Ce jour-là, alors que Marie replaçait une mèche de ses cheveux derrière son oreille, elle leva les yeux et leur regard se croisa. Ils se figèrent, surpris, perdus entre l’envie de repartir et celle de rester.
Jean s’approcha doucement, comme s’il avançait sur un fil fragile. Marie sourit faiblement, mais son cœur battait à tout rompre. Ils échangèrent un bonjour presque timide, comme deux inconnus qui partagent le souvenir d’un rêve évanoui.
“Ça fait longtemps,” dit Jean, sa voix trahissant un mélange de regret et de soulagement.
Marie hocha la tête. “Oui, trop longtemps.”
Ils s’assirent, et un silence pesant s’installa. Les mots leur faisaient défaut, comme effrayés par le poids des années.
Après un moment, Jean prit une profonde inspiration. “Je suis désolé, pour tout.”
Marie, surprise par cette confession, sentit ses yeux s’embuer. “Moi aussi. J’ai souvent regretté de ne pas avoir tendu la main plus tôt.”
Ils se regardèrent, un sourire naissant aux coins de leurs lèvres. La tension se dissipa lentement, laissant place à la chaleur d’une complicité retrouvée.
Leur conversation reprit, d’abord hésitante, puis plus fluide. Ils échangèrent sur leurs vies, leurs joies, leurs peines. Jean parla de ses voyages, de ces paysages qui l’avaient inspiré. Marie raconta ses projets, cette passion pour l’art qu’elle avait nourrie au fil des années.
Le temps semblait s’étirer, chaque minute devenant une éternité précieuse. Les souvenirs du passé se mêlaient doucement aux espoirs d’un futur encore incertain mais prometteur.
Alors que le jour déclinait, Jean sortit de sa poche un carnet de croquis. Il l’ouvrit à une page particulière, celle où il avait dessiné une scène de leur enfance. “Je l’ai toujours gardé,” expliqua-t-il, sa voix pleine d’émotion retenue.
Marie effleura le dessin du bout des doigts. “C’était un jour heureux,” murmura-t-elle.
Ils se quittèrent finalement, avec la promesse de ne plus se perdre. Leurs pas les menèrent chacun d’un côté de la rue, mais leurs cœurs restaient à jamais liés par ce moment si précieux.
En marchant, Marie se sentait plus légère, comme si le fardeau du passé s’était enfin envolé. Elle savait que le chemin serait encore long, plein d’embûches, mais avec Jean de nouveau à ses côtés, tout semblait possible.