C’était un matin d’automne, le vent soufflait légèrement, dispersant les feuilles jaunies sur les pavés de la rue calme. Jeanne hésitait à pousser la porte du café des années 70, son cœur battant au rythme de la valse des souvenirs. Elle avait reçu une invitation pour une exposition de peinture, mais ce qui l’avait surtout intriguée était le nom de l’artiste : Alexandre Lefèvre.
Elle se souvenait d’Alexandre, ce jeune homme passionné, rêveur, avec qui elle partageait des après-midi à refaire le monde, assis sur les bancs de l’université. Leurs chemins s’étaient séparés brusquement, sans explication, juste une vie qui les avait emportés dans des directions différentes. Et voilà, après des décennies, leurs routes semblaient prêtes à se croiser de nouveau.
Elle entra dans le café, son regard croisant d’autres visages attablés, mais c’est celui d’Alexandre qu’elle reconnut immédiatement. Il était assis près de la fenêtre, sa silhouette encadrée par la lumière douce du matin. Son visage portait les marques du temps, mais ses yeux, ces yeux pétillants de curiosité, n’avaient pas changé.
Ils échangèrent un sourire timide, un mélange de reconnaissance et de nostalgie. Jeanne s’approcha, chaque pas résonnant avec le poids des années de silence. Alexandre se leva, maladroitement, comme s’il ne savait pas s’ils devaient s’étreindre ou simplement se serrer la main. Finalement, un sourire chaleureux coupa à travers l’hésitation, et ils s’embrassèrent brièvement.
“Jeanne…”, dit-il doucement, savourant son prénom comme une mélodie longtemps oubliée.
“Alexandre. C’est toi…”
Ils s’assirent et commandèrent du café, espérant que la chaleur de la boisson dissiperait le froid de l’incertitude. Les premières minutes furent maladroites, entrecoupées de silences et de regards fuyants.
“Pourquoi une exposition maintenant ?”, demanda Jeanne, cherchant à briser la glace.
“Peut-être pour me retrouver. Ou du moins, pour trouver ce que j’ai perdu en chemin.”
Jeanne hocha la tête, comprenant ce besoin pressant de remémoration. Leurs échanges devinrent progressivement plus fluides, comme une ancienne mélodie retrouvée. Ils partagèrent des souvenirs d’étudiants, des rêves oubliés, des regrets.
Alexandre sourit tristement lorsqu’il évoqua les lettres non envoyées, les appels manqués. “J’ai souvent voulu te revoir, mais…”
“Moi aussi”, l’interrompit Jeanne, “mais il y a eu tant de raisons, ou peut-être d’excuses…”
Leurs regards se croisèrent, une compréhension silencieuse flottant dans l’air. Parfois, la vie impose ses propres barrières, et il faut du courage pour les franchir, même après tant de temps.
Au fil de la conversation, ils découvrirent ce qu’était devenue la vie de l’autre, une mosaïque de réussites et de pertes. Jeanne parla de sa fille, des moments de bonheur parsemés de difficultés. Alexandre raconta ses voyages qui l’avaient enrichi autant qu’ils l’avaient éloigné.
Puis vint le moment le plus intime, lorsque Jeanne sortit un vieux carnet écorné de son sac. “Je l’ai gardé toutes ces années”, dit-elle en le posant sur la table.
Alexandre le prit, le feuilletant avec une tendresse précautionneuse. C’était un carnet qu’ils avaient rempli à deux, de poèmes, de dessins, d’idées folles griffonnées à la hâte. “Il m’a manqué”, murmura-t-il, la voix tremblante.
Ils restèrent silencieux, plongés dans la contemplation de ces pages jaunies, véritable témoin de ce qu’ils avaient été, de ce qu’ils étaient encore peut-être. Le temps sembla suspendu, une pause dans la course effrénée de la vie.
Alors qu’ils se préparaient à partir, un sentiment de paix les enveloppa. Ils savaient que tout n’était pas résolu, que les blessures du passé ne disparaissaient pas si facilement. Mais il y avait la promesse d’une nouvelle ère, de discussions à venir, de moments à partager.
Sur le seuil du café, ils s’embrassèrent de nouveau, avec la douceur de ceux qui savent combien le temps est précieux.
“Ne laissons plus le silence nous séparer”, proposa Alexandre.
Jeanne acquiesça, un sourire sincère illuminant son visage. “À bientôt, Alexandre.”
Là-bas, une feuille d’automne se détacha de son arbre, flottant doucement vers le sol, métaphore simple et parfaite de leur rencontre fortuite, mais nécessaire.