Dans un petit village niché entre les collines verdoyantes du sud de la France, le marché hebdomadaire battait son plein. Les étals colorés regorgeaient de fruits et légumes frais, et les parfums enivrants des herbes provençales flottaient dans l’air du matin, mêlés aux éclats de rire et aux conversations animées. C’est dans cette atmosphère vibrante et presque théâtrale que Louise, une femme d’une soixantaine d’années, errait entre les stands, son panier de paille à la main.
Elle s’était installée dans ce village il y a quelques années, cherchant une vie plus simple après une carrière intense en tant qu’architecte à Paris. Elle savait que le marché était un lieu de rencontres, mais elle aimait surtout s’y promener seule, perdue dans ses pensées. Ce matin-là, elle était absorbée par le choix de quelques tomates, lorsqu’un éclat de voix familière la tira de sa concentration.
Elle se retourna d’un geste vif, son cœur ratant un battement. À quelques mètres d’elle, en train de marchander des olives, se tenait un homme qu’elle n’avait pas vu depuis plus de trente ans. C’était Marc. Ils s’étaient connus à l’université, un temps où leurs vies avaient un goût d’infini et de promesses. Non, ils n’avaient jamais été amants, mais leurs amitiés avaient nourri des passions et des rêves qu’ils avaient crus éternels.
Leurs regards se croisèrent, et un instant de flottement s’installa. Un sourire hésitant se dessina sur les lèvres de Marc, révélant les mêmes fossettes d’autrefois. Louise sentit un mélange d’émotion et de gêne. Elle s’approcha lentement, le cœur battant.
— Marc ?
Il hocha la tête, un sourire timide aux lèvres.
— Louise. Je… Je ne pensais pas te revoir ici.
Ils échangèrent quelques mots, maladroits, chacun essayant de cacher son trouble, jusqu’à ce que Louise propose de s’asseoir à un café à proximité. La terrasse était ensoleillée, offrant une vue plongeante sur la place animée.
La conversation démarra lentement, interrompue par les souvenirs qui affluaient. Ils évoquèrent leurs années d’université, les projets fous, les nuits blanches passées à refaire le monde. Leurs vies avaient pris des chemins différents — Louise avait choisi l’architecture, Marc était devenu photographe, sillonnant le monde. Mais là, devant un café, ils étaient à nouveau ensemble, et c’était comme si le temps n’avait pas d’emprise.
Au fil des mots, l’ambiance se réchauffa. Pourtant, une question muette flottait entre eux : pourquoi s’étaient-ils perdus de vue ? Marc prit une longue inspiration.
— Je suis désolé, Louise, pour tout ce silence. À l’époque… la vie est devenue compliquée, et j’ai laissé les choses s’étioler. Je crois que j’avais peur de m’accrocher à trop de choses.
Louise sentit une boule dans sa gorge, mais elle parvint à sourire.
— Moi aussi, j’aurais pu faire un pas vers toi. La vie, les choix… parfois on se laisse emporter.
Leur conversation se prolongea, entre rires et silences pleins de sens. Ils parlèrent des pertes, des êtres chers disparus, des peurs qui les avaient hantés et des joies qui les avaient construits.
Quand ils se quittèrent enfin, le soleil commençait à décliner, teignant la place d’une lueur dorée. En se promettant de se revoir, une sérénité nouvelle avait pris place entre eux. Mais surtout, ils savaient que ce qu’ils avaient partagé jadis restait intact dans sa beauté.
Alors que Louise s’éloignait, elle réalisa que le passé n’était pas un poids, mais une étoffe tissée de précieux souvenirs. Elle sourit, le cœur léger, reconnaissante pour cette rencontre imprévue qui avait résonné comme un doux écho de leur amitié d’antan.