C’était un matin d’automne comme tant d’autres, le genre de matin où un léger voile de brouillard enveloppe la ville et où les feuilles mortes couvrent les trottoirs. Alice se trouvait dans un petit café qu’elle aimait beaucoup, un endroit où le bruit des cuillères tintant contre les tasses de porcelaine se mêlait à la douce odeur du café fraîchement moulu. Elle venait ici souvent pour travailler et retrouver un sentiment de calme dans sa vie trépidante.
Soudain, la clochette au-dessus de la porte tinta et elle leva les yeux par habitude. C’est à ce moment que son cœur manqua un battement. La silhouette qui se tenait là, incrédule, n’était autre que Julien, un nom qu’elle n’avait pas prononcé depuis plus de vingt ans. Ils avaient partagé une adolescence marquée par des rires et des secrets chuchotés au creux des nuits étoilées. Puis la vie les avait séparés, chacun suivant son propre chemin.
Julien hésita un instant, puis ses yeux rencontrèrent les siens. Une série de sentiments contradictoires se bousculèrent en Alice : la surprise, le bonheur, mais aussi une étrange mélancolie. Julien s’approcha lentement, et elle lui fit signe de s’asseoir à sa table. Leurs premières paroles furent timides, maladroites. Le silence accumulé au fil des ans pesait entre eux comme une présence silencieuse.
— Je ne m’attendais pas à te revoir ici, dit Julien, la voix légèrement rauque.
— Moi non plus. C’est… étrange, n’est-ce pas ? répondit Alice, un léger sourire aux lèvres.
Ils échangèrent des anecdotes sur leur vie actuelle, contournant prudemment les souvenirs du passé. Pourtant, chaque rire partagé, chaque geste ramenait inexorablement des fragments d’une époque révolue, une époque où l’insouciance était reine.
Leur conversation s’écoula doucement, comme une rivière retrouvant son lit perdu. Julien parla de son travail, de ses voyages, et Alice de sa passion pour la littérature. Ils n’étaient plus les adolescents qui s’étaient quittés un jour, mais deux adultes portant le poids de leurs expériences.
Puis vint une pause, et le silence devint tangible. Julien plongea son regard dans celui d’Alice, comme pour y chercher quelque chose.
— Tu sais, j’ai souvent pensé à notre dernière conversation, confia-t-il enfin.
— Moi aussi, répondit-elle, détournant légèrement les yeux. C’était… compliqué.
Ils se remémorèrent cette nuit où tout avait changé. Des mots avaient été prononcés, de la colère avait éclaté, puis un départ précipité. Aujourd’hui, il ne restait qu’un sentiment de regret et de tristesse.
— Je n’aurais pas dû partir comme ça, repris Julien, la voix empreinte de remords.
— Et moi, je n’aurais pas dû te laisser partir sans un au revoir, murmura Alice.
L’émotion qui flottait entre eux n’avait rien d’une réconciliation dramatique, mais d’une compréhension tacite, un pont reconstruit pierre par pierre.
Sans qu’ils ne s’en rendent vraiment compte, les heures avaient défilé. Le café commençait à se vider, et la lumière du jour déclinait lentement, teignant la pièce de tons dorés.
Avant de partir, Julien la regarda avec une intensité douce.
— Peut-être qu’on pourrait… se revoir ? proposa-t-il, presque timidement.
Alice acquiesça, son sourire plus franc, plus lumineux.
— Oui, j’aimerais bien.
Ils se levèrent et se dirigèrent ensemble vers la sortie. Dehors, le monde continuait de tourner, indifférent à la petite révolution qui venait de se produire entre eux. Mais pour Alice et Julien, un chapitre s’était refermé et un autre s’ouvrait. Avec la promesse d’un lien renoué et d’un avenir incertain mais partagé.