C’était un de ces après-midis d’octobre où le soleil semblait hésiter entre la chaleur de l’été finissant et le froid de l’automne qui s’installait lentement. Camille remontait la rue de la vieille ville, ses pensées encore embrouillées par le tumulte de sa vie quotidienne. À cinquante ans, elle se sentait parfois prise dans un tourbillon de responsabilités, ses enfants ayant besoin d’elle à chaque tournant, et le travail ne laissant que peu de répit.
Elle s’arrêta soudain devant une librairie dont l’enseigne avait à peine changé depuis l’époque où, jeune étudiante, elle venait y chercher des livres de poésie. Un sourire nostalgique éclaira son visage, et, sur un coup de tête, elle poussa la porte.
À l’intérieur, l’odeur familière du papier vieilli l’entoura comme une couverture. Elle avança lentement entre les étagères, effleurant du bout des doigts les couvertures. Elle se sentait transportée dans un autre temps, un autre lieu.
Camille se trouvait dans une section consacrée à la littérature classique lorsqu’une voix douce, empreinte d’une pointe de nostalgie elle aussi, résonna derrière elle.
“Camille?”
Elle se retourna, et son regard croisa celui de Julien. Un Julien plus vieux, les cheveux grisonnants, mais dont le sourire avait conservé cette chaleur inoubliable. Ils s’étaient connus à l’université, complices inséparables, partageant des heures à discuter de tout et de rien, de leurs rêves et de leurs peurs. Puis la vie les avait séparés, chacun suivant son propre chemin, jusqu’à ce que les années construisent entre eux un mur de silence.
“Julien.” Sa voix trembla un peu, l’étonnement perçait à travers la simple énonciation de son nom. “Ça fait si longtemps.”
Il acquiesça, un sourire mélancolique aux lèvres. “En effet. Comment vas-tu?”
Les premiers instants furent empreints d’une certaine awkwardness, comme deux vieux amis dont les souvenirs communs se heurtaient au vide des années écoulées sans nouvelles. Pourtant, l’inconfort initial ne tarda pas à se dissiper, les souvenirs comme des ponts se construisant peu à peu entre eux.
Ils décidèrent d’aller prendre un café, le petit établissement à côté de la librairie offrant le genre d’ambiance feutrée qui invitait à la confidence. Assis l’un en face de l’autre, les mots s’écoulèrent plus facilement, chacun racontant sa vie, ses joies et ses peines.
Julien parlait de sa carrière de photographe, de ses voyages aux quatre coins du monde qui l’avaient enrichi mais également éloigné de ceux qu’il aimait. Camille évoqua sa famille, la joie de voir ses enfants grandir, les défis de jongler entre ses rôles de mère et de professionnelle.
Leurs échanges devinrent un va-et-vient entre le passé et le présent, chaque anecdote rappelant une part de ce qu’ils avaient été ensemble, chaque sourire et chaque rire légers permettant de combler doucement les crevasses du temps.
À un moment, Julien sortit de sa poche un vieux Polaroid, jauni par les années. Camille y reconnut leur bande de jeunes amis, riant sur un quai de gare lors d’un voyage spontané. Ce souvenir tangible, si fragile et pourtant si puissant, fit monter en elle une vague de tendresse teintée de tristesse.
“Je l’ai gardée tout ce temps,” avoua Julien, sa voix à peine plus qu’un murmure.
Les yeux de Camille se posèrent sur la photo, puis revinrent vers le visage de Julien. Un visage qu’elle avait tant connu, puis oublié, puis qu’elle redécouvrait à cet instant avec une nouvelle acuité. “Je suis contente que tu l’aies fait,” répondit-elle, son ton doux et sincère.
Le silence qui suivit n’était pas celui d’un malaise, mais d’une compréhension mutuelle. Il n’y avait pas besoin de plus de mots; le simple fait de partager ce moment suffisait à combler les absences.
Tandis qu’ils quittaient le café, une nouvelle promesse, informulée mais bien présente, flottait entre eux. Ce n’était pas tant une promesse de rester en contact, mais plutôt celle de chérir ce qu’ils avaient retrouvé : la certitude que malgré le temps et la distance, leurs vies s’étaient croisées à nouveau, pour un moment de douce réconciliation avec le passé.