Clara était assise à la table de la cuisine, les yeux fixés sur la tasse de thé refroidissant devant elle. À travers la fenêtre, elle observait les feuilles jaunissantes danser sous le vent de l’automne. Sa mère, Marie, était en train de cuisiner et remplissait la pièce de l’odeur familière de la soupe aux légumes. C’était un vendredi comme un autre, une journée qui semblait se fondre dans toutes les autres depuis des années. “Clara, tu prépares toujours ta présentation pour la réunion de demain?” demanda Marie sans la regarder. “Oui, maman, je vais finir ça ce soir,” répondit Clara, la voix un peu trop monotone, comme si elle prononçait ces mots sur pilote automatique. Elle avait 32 ans, vivait encore chez ses parents, et chaque jour était une répétition du précédent. Le sentiment d’étouffement la saisissait de plus en plus fréquemment, mais elle l’enfouissait sous une docilité apprise.
Le soir, après le dîner, Clara monta dans sa chambre. Elle regarda les murs tapissés d’affiches qu’elle avait accrochées adolescente. Des rêves d’ailleurs, de voyage, de liberté. Elle n’avait jamais quitté sa ville natale, retenue par un sens du devoir envers ses parents, mais aussi par une crainte irrationnelle de l’inconnu. “Pourquoi ne pourrais-je pas partir?” pensa-t-elle soudain. La question la surprit par sa force et son évidence. Elle se coucha, l’esprit tourmenté mais déterminé, consciente d’avoir franchi un seuil invisible.
Le lendemain matin, Clara se leva tôt et prit le train pour Paris, prétextant une journée de conférence. Dans le train, elle se perdit dans ses pensées. Elle repensa à l’université, aux opportunités qu’elle avait laissées passer, aux voyages qu’elle n’avait pas faits. Elle réalisa qu’elle n’avait jamais vraiment choisi sa vie. Chaque décision avait été prise en fonction des souhaits, réels ou supposés, de ses parents. Arrivée à Paris, Clara se laissa emporter par l’agitation de la ville, savourant le sentiment d’être une étrangère libre et inconnue.
Elle se promena dans les rues, explorant les bouquinistes le long de la Seine, émerveillée par la liberté de cette journée volée. Elle entra dans un café de quartier, s’installa près de la fenêtre, et commanda un café crème. Clara observa les passants avec une attention nouvelle, cherchant en eux les signes d’une vie qu’elle pouvait à peine imaginer. Peu à peu, une certitude s’installa en elle. Elle pouvait choisir. Elle pouvait décider pour elle-même.
De retour à la maison ce soir-là, Clara retrouva Marie, assise dans le salon, la télévision allumée. “Comment était la conférence?” demanda sa mère distraitement. Clara prit une profonde inspiration. “Maman, j’ai réfléchi. Je crois que j’ai besoin de prendre du temps pour moi, de trouver ce que je veux vraiment faire.” Marie éteignit la télévision, interloquée. “Qu’est-ce que tu veux dire?” “Je veux dire que j’ai envie de voyager, de découvrir de nouvelles choses. Peut-être m’installer ailleurs pour un moment,” répondit Clara, ses mots enfin déliés. Le silence qui suivit était lourd de non-dit. Marie soupira, puis hocha lentement la tête. “C’est ta vie, Clara. Ne la gâche pas.”
À cet instant précis, Clara sentit un poids se lever de ses épaules. Elle avait pris sa décision, et cette fois, c’était la sienne.