Le Silence S’estompe

La pluie tombait doucement sur les pavés de Paris, dessinant des chemins sinueux dans la lumière des réverbères. Jeanne tenait son parapluie d’une main, son autre main enfoncée dans la poche de son manteau pour échapper au froid automnal. Elle venait de passer la journée à parcourir les vieilles ruelles du Quartier Latin, une habitude qu’elle avait acquise lors de son adolescence. Ces promenades lui rappelaient à la fois son jeune âge et l’inexorabilité du passage du temps.

Ce jour-là, elle s’était arrêtée dans une petite librairie, attirée par l’odeur familière du papier vieilli. Tandis qu’elle feuilletait un vieux recueil de poèmes, un nom sur la couverture d’un autre livre attira son attention : Paul Duval. Le cœur de Jeanne fit un bond. Paul, ce nom qu’elle n’avait pas prononcé depuis des décennies, surgissait soudain dans sa vie comme un fantôme familier. Elle se demanda si cela pouvait être lui, son vieil ami de lycée, celui qui partageait sa passion pour les mots et les longues discussions philosophiques jusqu’à l’aube.

En sortant de la librairie, le livre de Paul sous le bras, Jeanne se sentit envahie par une vague de souvenirs. Elle avait souvent pensé à lui, à leur amitié interrompue brusquement par une dispute dont elle ne se souvenait même plus les raisons. La vie avait pris le dessus, leurs chemins s’étaient séparés, et la distance s’était transformée en silence éternel.

Le lendemain, poussée par une impulsion inexplicable, Jeanne décida de se rendre à la signature de livre mentionnée sur le quatrième de couverture. Elle était nerveuse en approchant la petite salle de conférence, hésitante quant à sa décision. Lorsqu’elle entra, elle chercha des yeux cet homme qu’elle n’avait pas vu depuis si longtemps.

Là, au fond de la pièce, elle le vit. Paul était assis à une table, entouré de quelques admirateurs. Ses cheveux étaient devenus blancs, mais son regard restait vif et pénétrant. Elle observa ses gestes, la façon dont il écoutait attentivement chaque personne qui venait lui parler. Quand son tour arriva, elle s’approcha timidement, ne sachant pas comment aborder cette rencontre inattendue.

« Paul ? » dit-elle simplement.

Il leva les yeux, la reconnaissance se frayant lentement un chemin à travers ses traits. « Jeanne », répondit-il, son ton empreint d’une surprise douce.

Ils se sourirent, maladroitement, comme deux vieux amis qui se retrouvent après avoir longtemps perdu la trace l’un de l’autre. Conscients de l’attention autour d’eux, ils décidèrent de se retrouver le soir même dans un café voisin.

La conversation au café commença avec une hésitation palpable. Les sujets étaient banals au départ : la météo, le livre de Paul, de vagues souvenirs d’école. Mais à mesure que la nuit avançait, les mots devinrent plus intimes, leurs barrières s’estompant lentement. Ils parlèrent de leurs vies respectives, des rêves réalisés et des espoirs perdus. Paul raconta comment l’écriture l’avait sauvé de lui-même, comment il avait trouvé une nouvelle vie dans ses mots.

« Tu te souviens de ce vieux banc au parc où nous avions l’habitude de nous asseoir ? » demanda Jeanne, les yeux brillants de nostalgie.

Paul sourit, une expression douce sur son visage. « Oui, je m’en souviens. Nous y avons passé tellement de temps… Je suis désolé, Jeanne, pour notre silence… »

Elle secoua lentement la tête. « Non, c’est moi qui suis désolée. Nous étions jeunes et stupides. J’ai souvent regretté ce silence. »

Ils se regardèrent, le temps suspendu entre eux, comme la pluie s’était arrêtée soudainement dehors, un frémissement silencieux les entourant.

Au cours des semaines qui suivirent, leur amitié se reforma, enrichie par les années perdues. Ils continuaient à se retrouver, parfois pour parler, parfois simplement pour partager le silence, un silence qui, désormais, était réconfortant.

Ce soir-là, en quittant le café, Jeanne et Paul marchèrent côte à côte jusqu’au parc de leur jeunesse. L’air était frais, mais non désagréable. Ils s’assirent sur le vieux banc, désormais usé par le temps mais toujours debout, symbolique d’une amitié qui avait traversé l’épreuve du temps.

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