Dans une petite librairie nichée au cœur d’un quartier tranquille de Lyon, le tic-tac régulier d’une horloge murale rythmait le calme ambiant. L’odeur feutrée des pages anciennes flottait dans l’air, enveloppant les clients d’un réconfort doux et familier. Camille feuilletait distraitement un roman jauni, plongée dans ses pensées, quand un éclat de rire à l’entrée interrompit son isolement passager.
Elle leva les yeux, alertée par cette sonorité qui éveillait en elle des réminiscences familières. L’homme qui se tenait là, un sac en cuir usé en bandoulière, semblait surgir d’un autre temps. Ses yeux, d’un bleu céruléen, pétillèrent de surprise et d’un brin de malice en croisant ceux de Camille. C’était Marc.
D’un pas incertain, il s’approcha d’elle, un sourire timide étirant ses lèvres. “Camille?” fit-il, presque comme s’il devait confirmer que cette femme devant lui était bien celle qu’il avait jadis connue.
Elle hocha la tête, un mélange d’étonnement et de nervosité la gagnant. Ils s’étaient perdus de vue après l’université, chacun suivant des chemins qui les avaient menés loin l’un de l’autre, tant géographiquement qu’émotionnellement. Il y avait eu des lettres, au début, soigneusement écrites à la main, mais la vie avait fini par les engloutir dans son tourbillon.
“Ça fait longtemps, Marc,” murmura-t-elle, la voix presque étranglée par les souvenirs.
Ils s’installèrent dans un coin de la librairie, là où quelques fauteuils fatigués offraient un refuge aux lecteurs désireux de s’évader. Les premiers échanges furent ponctués de silences hésitants, où les mots semblaient ne servir qu’à effleurer la surface de ce qui demeurait inavoué.
Marc parlait par vagues, évoquant les années passées, ses voyages, ses errances et ses découvertes. Camille, elle, se contentait souvent d’écouter, ses propres histoires restant en retrait, comme des échos qui ne trouvent pas encore leur voie.
La conversation glissa doucement vers des souvenirs partagés, ces moments où leur complicité avait été sans faille. Ils évoquèrent les nuits à refaire le monde, les cafés étudiants où, autour d’une tasse de thé brûlant, ils s’étaient promis mille et une aventures.
“Tu te souviens du festival de jazz, cette nuit où la pluie nous avait surpris sans parapluie?” demanda Marc, un sourire en coin.
Camille esquissa un rire léger, se rappelant la scène : leurs vêtements trempés, les éclats de rire qui avaient percé la nuit sombre, et cette sensation d’invincibilité propre à la jeunesse.
Pourtant, une ombre planait entre eux, celle de cette rupture silencieuse qui était survenue au fil du temps. La gêne palpable s’atténuait peu à peu, mais la question non posée flottait toujours dans l’air : comment avaient-ils laissé les choses s’effilocher ainsi?
Soudain, la main de Marc frôla celle de Camille, une geste involontaire qui enflamma les réminiscences enfouies. Elle leva les yeux, croisant son regard. Dans cette proximité retrouvée, ni l’un ni l’autre ne cachaient ce mélange complexe de tendresse et de regrets.
Il y avait, sous la surface des mots, la reconnaissance tacite des blessures du passé, de cette amitié qui avait failli, mais qui, dans cet instant précis, cherchait une forme de rédemption.
Les heures s’écoulèrent, et la librairie finit par annoncer la fermeture imminente. Camille et Marc se levèrent, encore un peu hésitants dans cette réalité nouvelle qu’ils venaient de créer.
Sur le pas de la porte, l’air du soir était doux, chargé de promesses d’un avenir plus clément. “On pourrait se revoir, continuer cette conversation?” proposa Marc, la voix emplie d’un espoir tranquille.
Camille acquiesça, un sourire sincère illuminant son visage. “Je crois que nous avons beaucoup à rattraper,” répondit-elle, et leur regard échangé fut à la fois une promesse et un point final, marquant la fin du silence de ces années perdues.
Marchant côte à côte dans la nuit naissante, le bruissement de leurs pas dessinait une nouvelle mélodie, celle d’une amitié retrouvée, qui, bien que marquée par les cicatrices du temps, résonnait à nouveau avec une harmonie sereine.