Elle pensait que cette porte resterait fermée à tout jamais, que les souvenirs douloureux resteraient bien enterrés. Mais en ce matin paisible, tandis qu’elle réglait ses affaires habituelles devant la maison familiale, elle vit la silhouette qu’elle avait effacée depuis longtemps de son esprit. Son cœur fit un bond, partagé entre l’étonnement et une vague de sentiments enfouis. Son père, qu’elle n’avait pas vu depuis deux décennies, se tenait là, hésitant, avec des yeux chargés de temps perdu.
— Lucie, dit-il d’une voix brisée par l’âge et l’appréhension, je suis désolé… Je ne savais pas comment revenir vers toi.
Lucie sentit des larmes monter, mais elle les réprima. Tant de questions s’entrechoquaient dans sa tête. Pourquoi maintenant? Pourquoi après tout ce temps? Elle le fixa un moment, relevant les souvenirs de l’abandon et des années de silence.
— Que fais-tu ici? demanda-t-elle, sa voix tremblant d’émotions contradictoires. Nous avons vécu sans toi, et soudain tu réapparais?
Il baissa les yeux, semblant mesurer tout ce qui s’était écoulé depuis qu’il était parti.
— J’ai… J’ai fait beaucoup d’erreurs, Lucie. Je n’ai jamais cessé de penser à toi, chaque jour. Mais à chaque fois que je tentais de revenir, la honte et la peur me repoussaient.
Elle voulut crier, lui dire la douleur qu’il avait causée, mais quelque chose dans son regard, dans l’humilité de sa posture, la retint. Elle se souvint des journées à attendre par la fenêtre, espérant un retour qui n’arrivait jamais. Des souvenirs de sa mère et elle essayant de comprendre, de s’en sortir seules.
— Pourquoi maintenant? répéta-t-elle, sa voix moins dure.
— J’ai vieilli, Lucie, répondit-il doucement. J’ai réalisé qu’il ne me reste que peu de temps pour essayer de réparer ce qui peut l’être.
Ce fut le moment crucial. Un silence pesa sur le seuil de la maison, lourd de choix à faire. Pouvait-elle pardonner? Avait-elle assez grandi pour accepter de lui accorder une seconde chance?
Elle inspira profondément, prenant la mesure de ses émotions.
— Écoute, papa, dit-elle finalement, je ne sais pas si je suis prête à tout te pardonner. Mais… peut-être qu’on peut essayer de se parler?
Un léger sourire tira les traits fatigués de son père.
— C’est tout ce que je demande, dit-il en hochant la tête.
Ils se tenaient là, face à face, pas tout à fait réconciliés, mais plus tout à fait étrangers. Lucie ressentit un étrange mélange d’apaisement et d’incertitude. Elle savait que rien ne serait facile, mais peut-être valait-il la peine d’explorer cette voie, pour elle-même autant que pour lui.
Ainsi, ils entrèrent ensemble dans la maison, sous le regard bienveillant du vieux chêne qui avait veillé sur leur famille pendant toutes ces années.