Camille se tenait devant le miroir, observant son reflet avec une fascination mêlée d’une pointe de mépris. Cela faisait des années qu’elle sentait cette ombre peser sur elle, une présence silencieuse qui s’était installée petit à petit. Sa famille, bien intentionnée mais envahissante, avait toujours su comment diriger sa vie sous prétexte de l’aimer.
Depuis son plus jeune âge, Camille avait appris à plaire. Elle était la fille facile à vivre, jamais un mot plus haut que l’autre, s’adaptant aux attentes de ses parents sans jamais vraiment réfléchir à qui elle souhaitait devenir. Elle était devenue experte en l’art de cacher ses propres désirs, enveloppant ses choix dans ceux des autres, comme un cadeau bien emballé mais à jamais décevant dès qu’on en soulevait le papier.
Assise à la table du petit déjeuner, Camille écoutait distraitement sa mère parler de l’anniversaire prochain de son père. “Tu devrais penser à ce que tu vas dire pendant ton discours,” lui suggéra-t-elle d’une voix douce mais insistante.
Camille hocha la tête par automatisme. “Oui, maman,” répondit-elle, prenant une gorgée de café pour se donner contenance.
Mais ce matin-là, quelque chose avait changé. Un courant imperceptible, un bourdonnement léger au creux de son estomac, trahissait une agitation nouvelle. Depuis quelques mois, elle avait rejoint un club de lecture, une bulle d’air frais parmi les attentes étouffantes. À travers les histoires des livres, elle découvrait des personnages qui luttaient, qui vivaient, qui, surtout, prenaient des décisions pour eux-mêmes.
Un soir, alors que le ciel se teignait d’une encre sombre, Camille s’était arrêtée sur un passage qui parlait d’une femme se réappropriant sa voix. Les mots avaient résonné en elle comme un écho longtemps attendu. Ces personnages fictifs lui insufflaient un courage qu’elle n’aurait jamais imaginé posséder.
Puis, il y avait ce message de Sophie, une amie du club : “Pourquoi ne pas écrire ta propre histoire, Camille ?” Une idée simple mais radicale. L’écriture comme acte de rébellion silencieuse, un espace où elle pourrait être elle-même sans contrainte.
Un jour, alors que toute la famille était réunie autour de la table, sa mère évoqua encore une fois le discours à venir. Camille sentit une chaleur monter en elle, la même qui avait grondé en lisant la veille ce passage poignant. Elle prit une inspiration profonde, ses doigts crispés sur le bord de sa chaise.
“Je ne suis pas sûre de vouloir faire ce discours,” lâcha-t-elle finalement, sa voix plus assurée qu’elle ne l’aurait cru.
Un silence lourd s’abattit dans la pièce. Ses mots flottaient dans l’air, et elle pouvait sentir le regard de chacun posé sur elle comme un poids soudain.
“Pourquoi pas ?” demanda son père, un sourcil arqué.
“Parce que… je pense que ce n’est pas moi. Je voudrais faire autre chose, quelque chose qui me ressemble plus,” dit-elle, étonnée de sa propre audace.
Les mots étaient sortis, irrévocables, et pourtant, Camille se sentit plus légère. La surprise s’étira sur le visage de ses parents, mais elle ne chercha pas à s’excuser ou à se justifier davantage.
Ce geste, aussi insignifiant qu’il ait pu paraître, était un premier pas. Un pas vers une liberté dénichée sous des couches de conformité, un pas qu’elle savait qu’elle n’aurait jamais pu faire sans l’impulsion de ces histoires qui l’avaient tant marquée.
Plus tard, dans le silence apaisant de sa chambre, Camille prit un carnet et commença à écrire. Ses mots, maladroits mais sincères, formèrent peu à peu un récit où elle maîtrisait enfin son destin. Chaque phrase était une brique dans le chemin de sa propre autonomie, chaque récit une fenêtre ouverte sur des possibles insoupçonnés.
Et elle sut à cet instant qu’elle ne serait plus jamais reléguée aux coulisses de sa propre vie. Elle avait pris le stylo, et désormais, elle était l’auteure de son histoire.