Etienne ajustait le col de sa chemise devant le miroir taché d’âge du petit café de son quartier. Ses visites matinales ici étaient devenues un rituel depuis qu’il avait pris sa retraite. Le café était souvent vide à cette heure, offrant un calme propice à la réflexion. Ce matin-là, cependant, une voix familière le tira de ses pensées.
“Etienne ? Est-ce bien toi ?”
Il se retourna, surpris, pour voir une femme dont le visage évoquait un passé lointain. Claire se tenait là, un sourire hésitant sur les lèvres, l’air à la fois incertain et reconnaissant. Il avait presque oublié à quel point ses yeux étaient profonds et expressifs.
“Claire… Ça fait si longtemps,” balbutia-t-il en se levant maladroitement.
Ils échangèrent une étreinte rapide, raide, comme deux danseurs ayant oublié leur chorégraphie. Dessus, il y avait une lourde couverture d’années de silence qui rendait le moment à la fois vital et étrange.
Claire tira une chaise et s’assit à sa table. “Je viens de déménager en ville. J’ai pensé que je pourrais te croiser, mais je n’étais pas certaine.”
Leurs yeux se rencontrèrent brièvement, emplis d’une myriade d’émotions indéchiffrables. Leurs vies avaient suivi des trajectoires distinctes depuis qu’ils avaient quitté l’université, chacun emporté par les courants de la vie adulte, puis happé dans le tourbillon des carrières et des familles.
Ils passèrent les premiers moments à échanger des banalités—où chacun avait vécu, les métiers, les enfants devenus grands. Leurs paroles étaient prudentes, soulignées par un filigrane d’embarras.
Le café apporta deux tasses qu’ils accueillirent comme des bouées de sauvetage, se réfugiant brièvement dans le rituel de la boisson chaude. Ce fut Claire qui rompit le silence, les mains enserrant sa tasse.
“Etienne, je suis désolée, vraiment, pour ce qui s’est passé après l’université. Je…” Elle chercha ses mots, comme si elle les récupérait d’un coffre de souvenirs enfouis.
“Tu n’as pas à t’excuser,” répondit Etienne doucement. “Les choses se passent d’une certaine façon, et parfois, la vie nous pousse dans des directions inattendues.”
Ils parlèrent alors de Jacques, leur ami commun qui avait été le lien entre eux. La nouvelle de sa mort, il y a deux ans, avait été douloureuse pour chacun d’eux. Un souvenir précis émergea, celui d’un été passé ensemble, rassemblant rires et espoirs naïfs. L’évocation de Jacques apporta à la fois un baume et une douleur aigüe à leur discussion.
Claire, les yeux humides, évoqua une soirée particulière où ils avaient regardé des étoiles depuis le toit de l’immeuble de la résidence universitaire. Etienne s’en souvenait aussi, de la façon dont Jacques avait parlé de l’avenir comme d’une aventure flamboyante.
“Il nous manque à tous les deux,” murmura Etienne, sa voix brisée par l’émotion. “Il aurait su quoi dire aujourd’hui.”
Ils s’accordèrent un moment de silence, contemplant ensemble ce qui avait été et ce qui ne pourrait plus être. Le soleil, haut dans le ciel, projetait des ombres douces qui dansaient sur la table, et une paix fragile sembla descendre sur eux.
Puis, le moment vint de se quitter, mais avec la promesse de se revoir, de ne plus laisser les décennies s’interposer. Il n’y eut pas de grandes déclarations, juste une compréhension tacite que, même après tant d’années, quelque chose de précieux pouvait être restauré.
Sur le trottoir, ils échangèrent une dernière étreinte, cette fois plus douce, plus vraie. Alors qu’ils s’éloignaient chacun de leur côté, Claire se retourna et lui adressa un sourire, celui qui avait autrefois été si familier à Etienne.
L’air frais emplit ses poumons alors qu’il continuait sa route, le cœur un peu plus léger. La certitude qu’ils avaient fait un pas important vers le passé, mais aussi vers leur propre avenir, réchauffait son âme.