Sophie se tenait devant le miroir de la salle de bain, fixant son reflet avec un regard absent. Autour d’elle, les murs crème et les serviettes soigneusement pliées faisaient écho à l’ordre méticuleux que sa mère aimait tant. Ses épaules tombantes et son souffle court témoignaient d’une fatigue qui dépassait le simple épuisement physique. Depuis aussi longtemps qu’elle s’en souvienne, elle avait vécu en fonction des désirs et attentes d’autrui, d’abord ceux de sa famille, ensuite ceux de Marc, son compagnon depuis six ans.
Leur appartement à Montreuil était petit mais bien entretenu. Marc aimait que tout soit à sa place, et Sophie s’était pliée à ce désir, comme à tant d’autres. Elle se souvenait des premières années de leur relation, où chaque commentaire de Marc lui semblait être une critique déguisée. “Tu devrais essayer de cuisiner ceci,” “Peut-être que tu pourrais porter ça.” Au fil du temps, elle avait appris à se taire, à ne pas déranger, à ne pas se faire remarquer.
Ce matin-là, en se levant, une sensation étrange l’avait envahie. Un désir sourd, inarticulé de quelque chose de différent, de quelque chose de plus… elle-même. Elle attrapa son téléphone, le feuilletant machinalement. Sur les réseaux sociaux, elle trébucha sur une citation : “Être soi-même dans un monde qui essaie constamment de vous transformer est le plus grand des accomplissements.”
Elle rangea son téléphone, perturbée par ces mots simples mais puissants. Elle se demanda ce que cela signifierait d’être vraiment elle-même. Elle n’en avait pas la moindre idée, mais la curiosité était là, tapie dans l’ombre.
Au déjeuner, elle se retrouva assise en face de Marc, qui était plongé dans le journal. Sophie fit défiler mentalement les sujets de conversation possibles, triant ceux qui ne risqueraient pas d’entraîner une dispute ou une remarque désobligeante.
“J’ai pensé à aller au cours de peinture ce soir,” dit-elle finalement, la voix hésitante.
Marc leva brièvement les yeux du journal. “Oh… la peinture, encore? Tu sais que tu perds toujours l’intérêt,” répondit-il nonchalamment avant de replonger dans sa lecture.
Sophie sentit une poussée d’irritation monter en elle, mais elle la réprima. Après tout, il avait raison : elle avait abandonné tant de hobbies par le passé. Pourtant, cette fois-ci, elle se sentait différente.
L’après-midi, elle passa par son café préféré où elle aimait s’asseoir près de la fenêtre pour observer les passants. Elle aimait se perdre dans les histoires qu’elle s’inventait à leur sujet. Aujourd’hui, elle ne se sentait pas à l’aise. Chaque visage étranger lui semblait porteur d’un secret qu’elle ne pouvait percer.
Mais un visage familier apparut soudain à l’extérieur, celui de Clara, une amie de longue date avec qui elle avait lentement perdu contact. Clara, avec ses cheveux ébouriffés et son sourire en coin, semblait toujours dégager une aura de liberté que Sophie enviait toujours en silence.
Elles échangèrent quelques banalités jusqu’à ce que Clara pose une question qui résonna profondément en Sophie : “Comment tu te sens, vraiment ?”
Cette question inattendue fit monter les larmes aux yeux de Sophie. Elle détourna le regard, gênée, mais Clara attendait patiemment.
“Je ne sais pas,” avoua Sophie. “J’ai l’impression de suivre des chemins que je n’ai jamais choisis.”
Clara lui prit la main, serrant doucement ses doigts. “Tu as toujours le choix, tu sais,” dit-elle simplement. “Même quand ça semble impossible.”
Ces mots résonnèrent toute la soirée dans l’esprit de Sophie. De retour à l’appartement, elle regarda Marc, perdu dans ses statistiques sur l’ordinateur. Elle s’approcha du placard, sortit des vieilles affaires de peinture et s’installa à la table du salon.
Alors qu’elle trempait le pinceau dans la peinture, elle sentit un bien-être inattendu. Chaque coup de pinceau semblait la rapprocher un peu plus de quelque chose qu’elle avait enfoui très profondément. Elle sentit les tensions se dissiper, remplacées par la douce étreinte de la liberté.
Elle n’entendit pas Marc se lever et venir voir ce qu’elle faisait. “Qu’est-ce que tu fais ?” demanda-t-il, l’air perplexe.
Sophie leva les yeux, un sourire timide aux lèvres. “Je peins,” répondit-elle simplement.
Marc haussa les épaules et retourna à son écran. Sophie se rendit compte qu’elle n’avait pas besoin de son approbation, ni de celle de quiconque. Elle était simplement en train de se réapproprier sa vie, un pincement de couleur à la fois.