Dans un coin reculé de la vieille ville, une petite librairie faisait de la résistance face au temps. Les murs étaient tapissés de livres usés, enveloppés d’une odeur de papier jauni et de bois ancien. C’est là que Jeanne se réfugiait pour trouver un peu de paix après une journée de travail éreintante. Depuis la fin des années 80, elle n’avait jamais revu son ami d’enfance, Marc. Ils avaient partagé la même cour d’école, les mêmes rires, et un été interminable où chaque jour était un avenir prometteur.
Un matin, après avoir feuilleté un roman classique, Jeanne se sentit attirée par une voix familière. Elle leva les yeux de son livre et aperçut un homme penché sur un étal, ses cheveux gris parsemés de mèches rebelles. Les années avaient marqué son visage, mais son sourire était intact. C’était Marc.
Leurs regards se croisèrent, et un silence tendre s’installa, un espace où les souvenirs commencèrent à danser doucement entre eux. Elle hésita un instant, le cœur battant, avant de se diriger vers lui.
“Marc?” dit-elle finalement, sa voix à peine un souffle.
Il se retourna brusquement, l’incertitude dans ses yeux se dissipant rapidement pour laisser place à une surprise chaleureuse. “Jeanne…” murmura-t-il, comme si prononcer son nom pouvait réveiller une époque enfouie.
Ils restèrent un moment sans bouger, plongés dans une bulle où le présent se tissait lentement avec le passé. “Je ne savais même pas que tu habitais encore ici,” dit-elle enfin, une teinte de regret perçant ses mots.
“Je viens juste de revenir,” répondit-il en haussant les épaules. “Après tant d’années à courir le monde, j’avais besoin de retrouver un peu de stabilité.”
Leurs échanges étaient précautionneux, comme s’ils naviguaient sur une mer de souvenirs partagés, chacun cherchant à éviter les écueils du passé. Peu à peu, les barrières se fendaient, laissant la place à une complicité timide mais rassurante.
Ils décidèrent de sortir de la librairie pour se rendre dans un café voisin, le même qu’ils fréquentaient lorsqu’ils étaient à l’université. Leurs conversations étaient parsemées de silences contemplatifs, chaque pause révélant un respect mutuel pour les mystères de l’autre.
Marc déposa sa tasse de café et regarda Jeanne avec sérieux. “Tu te souviens de l’été où on a construit cette cabane dans l’arbre du jardin de tes parents?” demanda-t-il soudainement, un sourire en coin.
Elle éclata de rire, la nostalgie adoucissant les contours de son visage. “Comment pourrais-je oublier? Tu étais convaincu que ce serait notre refuge secret, loin de tous les adultes.”
“Et puis il y a eu cette tempête,” continua-t-il, son regard se perdant dans les souvenirs. “Je pensais que la cabane avait été emportée, mais le lendemain, elle était encore là, un peu bancale mais toujours debout.”
Un silence s’installa à nouveau, marqué cette fois par la reconnaissance de leur résilience commune. Ils avaient traversé des tempêtes, chacun de leur côté, mais ils étaient encore là, un peu bancals eux aussi, mais debout.
La conversation se tourna ensuite vers leurs parcours respectifs. Jeanne parla des enfants qu’elle n’avait pas eus, des rêves qu’elle avait dû réinventer. Marc, lui, évoqua les pays qu’il avait traversés, les histoires qu’il avait vécues mais jamais partagées.
Le temps passant, un sentiment de paix s’installa entre eux. Les années de silence s’effaçaient, remplacées par une réconfortante familiarité.
Avant de se séparer, Marc et Jeanne restèrent un instant sur le seuil du café, le crépuscule teintant le ciel de nuances douces. “Merci, Jeanne,” dit-il simplement, sa voix empreinte de gratitude. Elle sentit une larme lui piquer les yeux, non pas de tristesse, mais de réconciliation avec elle-même.
Ils se sourirent une dernière fois, conscients que cette rencontre inattendue avait ravivé des liens qui, malgré le poids des années, n’avaient jamais vraiment disparu.