Dans la petite ville de Saint-Martin-sur-Lemans, l’automne avait pris ses quartiers. Les feuilles rouges et or tourbillonnaient dans les ruelles pavées, semblant murmurer des secrets du passé. C’est là, au détour de ces chemins familiers, que Clara était revenue pour vider la maison de sa grand-mère, récemment décédée. Les souvenirs affluaient à chaque coin de rue, rappelant les étés insouciants de sa jeunesse.
Lorsqu’elle pousse la porte grinçante de la librairie de son enfance, elle ne s’attend pas à trouver un autre fantôme du passé. L’air imprégné de l’odeur des livres anciens est le même, mais la présence de Gabriel derrière le comptoir la frappe comme une note discordante dans une mélodie autrefois parfaite.
Ils avaient été inséparables, Clara et Gabriel, partageant tout, des secrets les plus insignifiants aux rêves les plus fous. Puis, le temps, avec son impitoyable avancée, avait étiolé leur amitié. La vie les avait séparés, sans querelle, juste des chemins divergents.
“Clara,” dit-il doucement, comme s’il avait peur de briser le silence qui les entourait.
Elle reste figée, le coeur battant à l’idée des années perdues. “Gabriel,” répond-elle, un sourire timide éclairant son visage, malgré l’angoisse qui lui noue la gorge.
Les premiers instants sont maladroits, comme deux danseurs retrouvant un vieux pas de valse. La conversation démarre sur des banalités, chaque mot pesant sous le poids du non-dit. Pourtant, peu à peu, la glace se brise. Ils parlent de leurs vies, de leurs chemins. Clara évoque sa carrière dans l’art, ses voyages, les pertes et les gains. Gabriel raconte la librairie qu’il a reprise après le départ de son père, son amour pour les livres ayant guidé son chemin.
Les heures défilent, imperceptibles, comme si le temps avait suspendu son cours pour eux, les enveloppant dans une bulle hors du monde.
En sortant de la librairie, le ciel s’est paré d’un crépuscule orangé. Clara propose de marcher jusqu’à la rivière, là où, enfants, ils passaient leurs après-midi d’été. L’odeur du sous-bois, l’air frais et piquant, tout les ramène inexorablement à ce qu’ils ont été.
“Tu te souviens de la cabane qu’on avait construite là-bas?” demande Gabriel en montrant une clairière. “On pensait qu’elle serait suffisamment solide pour résister au temps.”
Clara rit doucement, une note de mélancolie teinte son amusement. “Je crois qu’elle l’était, dans notre esprit, en tout cas.”
Il y a un moment de silence, lourd, mais non sans espoir. Leurs yeux se rencontrent, et enfin, ils parlent de ce qui les a éloignés. Les rêves non partagés, les chemins trop différents pour être suivis ensemble.
“Je t’ai pardonné depuis longtemps, tu sais,” murmure Clara.
Gabriel hoche la tête. “Moi aussi. J’ai souvent regretté qu’on n’ait pas trouvé le moyen de garder le contact.”
Un silence apaisant s’installe entre eux. La rivière coule, imperturbable, symbole de l’écoulement du temps qu’ils ne peuvent arrêter, mais qu’ils peuvent au moins comprendre.
Finalement, ils arrivent à un accord silencieux. Ce ne sera plus comme avant, mais c’est bien ainsi. Ce qui a été n’est pas perdu, seulement transformé, et ils peuvent à nouveau trouver du sens dans cette amitié renouvelée, différente, mais toujours précieuse.
La nuit les enveloppe doucement, tout comme la promesse de recommencer à se fréquenter, cette fois-ci avec la sagesse du temps écoulé.