Il pleuvait ce jour-là, cette pluie fine qui tapisse les rues d’une lueur argentée. Philippe marchait d’un pas lent, le regard perdu dans les vitrines embuées des cafés qui parsemaient le boulevard. Ses pas le menèrent instinctivement vers le parc, ce refuge de verdure au cœur de la ville où jadis il passait tant de ses après-midis. En atteignant la petite fontaine de pierre, il s’arrêta, pris par une vague de souvenirs. C’est là qu’il l’avait rencontrée pour la première fois.
Anna. Son nom résonnait dans sa tête comme une mélodie oubliée. Ils avaient partagé de nombreux éclats de rire et des discussions sans fin sur les bancs de ce parc, mais la vie, avec ses caprices et ses détours, les avait éloignés. Il n’y avait pas eu de dispute mémorable, juste une lente dérive vers d’autres horizons, d’autres amitiés.
Le regard de Philippe se perdit dans le jeu des gouttes de pluie sur la surface de l’eau, et il se demanda ce qu’elle était devenue. En relevant la tête, il aperçut une silhouette familière, un pas hésitant mais décidé, s’approcher. Les années avaient laissé des traces, mais il la reconnut aussitôt. Anna, avec son écharpe écarlate, marchait vers lui, son visage légèrement incliné comme pour s’abriter des gouttes.
Leur rencontre fut d’abord un choc silencieux, le poids des années pesant sur leurs épaules. Ils échangèrent un sourire timide, comme deux adolescents surpris par leur propre audace. “Philippe ?” sa voix était douce, un peu hésitante. “Anna”, répondit-il, aussi surpris qu’elle.
Ils s’assirent sur le banc voisin, celui-là même qui avait été témoin de tant de leurs confidences. Il y eut un moment de flottement, cet étrange mélange de familiarité et d’inconnu qui s’installe lorsque l’on redécouvre quelqu’un que l’on a autrefois connu par cœur.
“Tu viens ici souvent ?” demanda-t-elle, cherchant un point d’ancrage dans cet océan d’émotions. Philippe acquiesça lentement. “De temps en temps. C’est calme ici.”
Leurs mots étaient prudents, comme s’ils tentaient de marcher sur un pont de glace fragile. La pluie, en fond sonore, les enveloppait d’une intimité paisible. Ils évoquèrent des souvenirs communs, des anecdotes presque effacées par le temps. La nostalgie fit son chemin, mais sans amertume, simplement avec la douceur de ceux qui ont appris à accepter le passé.
Anna parla de ses voyages, des routes qu’elle avait empruntées loin de la ville, loin de Philippe. Il partagea ses propres expériences, sa vie professionnelle, et ses propres voyages, bien qu’ils aient souvent été intérieurs plutôt que géographiques.
Silencieusement, une compréhension mutuelle s’installa. Leurs silences n’étaient plus lourds de distances, mais remplis de ce qui n’avait jamais été dit, de ce qui n’avait pas besoin d’être dit. Le pardon, invisible mais omniprésent, flottait entre eux, non comme un acte conscient, mais comme une évidence.
Finalement, comme le soir commençait à envelopper le parc, Philippe se risqua : “Tu sais, je me suis souvent demandé ce que tu étais devenue.” Elle sourit doucement, un sourire empreint de toutes les années écoulées. “Moi aussi.”
Ils se levèrent ensemble, sous la lumière déclinante, et marchèrent lentement vers la sortie du parc, sans promesse ni regret. Juste deux amis retrouvant un chemin commun, même pour un instant éphémère.