L’éveil de Clara

Clara se réveilla à l’aube, comme à son habitude, dans l’appartement qu’elle partageait avec Marc depuis plus de cinq ans. Les rayons du soleil perçaient timidement à travers les stores, caressant doucement ses paupières. Elle resta allongée un moment, écoutant le murmure lointain de la ville qui s’éveillait elle aussi, mais surtout elle écoutait son propre souffle, régulier, comme pour se rassurer qu’il était toujours là, ce souffle qui lui appartenait.

Leur appartement était modestement décoré, des murs d’un beige neutre et une cuisine toujours impeccable, reflet des attentes de Marc. Clara s’était toujours pliée aux désirs de Marc, choisissant ses batailles avec soin. Pourtant, ces dernières années, elle s’était sentie glisser dans une routine où elle paraissait transparente, ses aspirations et désirs enfouis sous les attentes familiales et conjugales.

Elle se leva discrètement, tâchant de ne pas réveiller Marc, et se dirigea vers la cuisine pour préparer le café. Le frémissement de la cafetière résonnait dans le silence de l’appartement, une mélodie familière et réconfortante.

« Clara, tu as pensé à rappeler maman pour le dîner de dimanche ? » demanda Marc en entrant dans la cuisine, l’air encore ensommeillé.

« Pas encore, mais je le ferai aujourd’hui », répondit Clara avec un sourire automatique.

Leurs conversations tournaient souvent autour de ces petites obligations quotidiennes, des obligations qui semblaient s’accumuler comme des couches de vernis sur son être, jusqu’à ne plus vraiment savoir où s’arrêtaient les attentes des autres et où commençaient les siennes.

Après que Marc soit parti au travail, Clara prit un moment pour elle-même. Elle s’assit sur le vieux canapé du salon, un livre posé sur ses genoux, mais ses pensées vagabondaient ailleurs. Des images enfouies revinrent à la surface — ses études d’art qu’elle avait abandonnées pour soutenir Marc dans sa carrière, les discussions passionnées autour d’un pinceau qu’elle avait laissé tomber, et le désir latent de se redécouvrir.

Ce jour-là, elle décida d’aller se promener dans le parc voisin. Les arbres, qui avaient commencé à prendre les teintes chaudes de l’automne, offraient un spectacle apaisant. Chaque feuille tombée semblait emporter avec elle un poids de ses épaules. Elle marchait sans but précis, laissant ses pensées vagabonder jusqu’à ce qu’elle tomba sur une vieille galerie d’art, un endroit qu’elle fréquentait souvent dans une autre vie.

Poussée par une impulsion qu’elle ne s’expliquait pas, elle y entra. L’air à l’intérieur était riche de promesses et d’histoires, les murs couverts de toiles flamboyantes. Une toile en particulier attira son attention : un paysage marin agité, vibrant de couleurs. Elle se perdit dans les vagues, ressentant une connexion profonde, une résonance qu’elle n’avait pas ressentie depuis longtemps.

Un homme s’approcha d’elle, probablement le propriétaire de la galerie, son regard curieux mais accueillant.

« Elle vous plaît, n’est-ce pas ? » demanda-t-il avec un sourire.

« Oui, elle est magnifique. Elle me rappelle des souvenirs d’un autre temps », répondit-elle, surprise par la profondeur de sa propre voix.

Ils discutèrent un moment, et pour la première fois depuis des années, elle sentit sa passion refaire surface. Le propriétaire l’écoutait, réellement intéressé par ses idées, sans jugement et sans attentes. C’était libérateur.

Quand elle quitta la galerie, quelque chose avait changé en elle. Ce n’était pas une transformation radicale, mais une petite fissure dans le mur de conformisme qu’elle avait érigé autour d’elle. Elle sentit une petite flamme s’allumer au fond de son être, une flamme qu’elle s’était promise de nourrir.

De retour chez elle, Clara trouva Marc sur le canapé, absorbé par un reportage à la télévision. Elle s’assit à côté de lui, le regard fixé sur l’écran mais l’esprit ailleurs. Elle pensa à leur vie ensemble, aux compromis silencieux qu’elle avait faits, et aux rêves qu’elle avait mis de côté.

« Marc, j’ai visité une galerie aujourd’hui », dit-elle, interrompant le silence.

Il tourna la tête vers elle, visiblement surpris. « Une galerie ? Pourquoi ça ? »

« Parce que j’en avais envie », répondit-elle simplement, ses mots porteurs d’une vérité nouvelle.

C’était un petit pas, mais un pas vers elle-même. Elle se sentait plus légère, comme si elle venait de poser la première pierre d’un chemin qui lui était propre, un chemin qu’elle s’était décidée à suivre, coûte que coûte.

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