Lucie était assise à la petite table en bois du café, absorbée par le spectacle de la pluie fine qui s’échappait du ciel gris, tapissant le trottoir de mille miroirs éphémères. Elle avait toujours aimé ce coin de la ville, ce quartier qui avait gardé le charme des années passées malgré le bourdonnement incessant de la modernité. Ce jour-là, elle s’était réfugiée ici pour échapper au chaos d’une semaine harassante, trouvant dans le murmure des conversations et le cliquetis des tasses un réconfort bienvenu.
Alors qu’elle levait sa tasse de thé à ses lèvres, ses yeux se posèrent sur une silhouette familière, immobile devant la porte du café. Elle sentit son cœur faire un bond dans sa poitrine, reconnaissant instantanément Alain. L’espace d’un instant, elle hésita à détourner le regard, à faire comme si elle ne l’avait pas vu. Mais déjà, leurs yeux s’étaient croisés.
Alain resta un moment figé sous l’auvent, comme surpris en plein vol par une émotion tant attendue, puis il avança lentement, une hésitation dans chaque pas, jusqu’à la table de Lucie. “Lucie,” dit-il d’une voix qui se voulait assurée mais qui trahissait une douceur teintée de nervosité.
Elle sourit doucement, un sourire empreint de mille souvenirs. “Alain,” répondit-elle, l’invitant d’un geste à s’asseoir.
Il prit place en face d’elle, et pour un moment, aucun des deux ne parla. Le silence ne les séparait pas, il semblait plutôt les envelopper, leur laissant le temps de s’acclimater à cette rencontre inattendue.
Les années avaient passé, certes. Deux décennies s’étaient écoulées depuis qu’ils avaient perdu contact, happés par le tourbillon de leurs vies respectives. Ils n’étaient pas amants, mais avaient partagé une amitié profonde, forgée dans les couloirs bondés de l’université, dans les nuits d’insomnie passées à refaire le monde. Une amitié qui, malgré le temps et la distance, semblait encore brûler d’une flamme discrète mais tenace.
“Tu n’as pas changé,” dit Alain, brisant le silence avec un sourire.
Lucie secoua la tête, amusée. “Et toi, tu as toujours le même humour!”
Ils échangèrent un rire, un murmure de complicité retrouvée. Puis, doucement, la conversation se glissa vers le passé, vers ces souvenirs qu’ils avaient partagés, les parcours de vie qui les avaient menés ici.
“J’ai souvent pensé à toi,” avoua Lucie, les yeux plongés dans ceux d’Alain. “Je me demandais ce que tu étais devenu.”
Alain hocha la tête. “Moi aussi,” dit-il simplement. “Mais la vie…” Il laissa sa phrase en suspens, un geste vague de la main, comme pour désigner toute l’ampleur des imprévus qui avaient jalonné leurs vies.
Il y eut un moment d’hésitation, comme un voile de tristesse flottant entre eux. “Je suis désolé de ne pas avoir gardé contact,” finit-il par dire.
Lucie haussa légèrement les épaules, un geste qui traduisait à la fois l’acceptation et le poids des regrets partagés. “Nous avons pris des chemins différents,” murmura-t-elle, “mais peut-être que ces chemins devaient se croiser de nouveau.”
Ils continuèrent à parler, se redécouvrant à travers le prisme du temps. Les non-dits se mêlèrent aux mots partagés, créant une symphonie silencieuse faite de compréhension et de pardon tacites.
Alors que l’après-midi se transformait en crépuscule, la pluie cessa enfin, laissant place à un ciel clairsemé de teintes roses et dorées. Alain et Lucie se levèrent, et en sortant du café, ils marchèrent côte à côte, comme deux voyageurs qui reprennent une route qu’ils avaient un jour abandonnée.
Dans cette marche silencieuse, il y avait une promesse, celle de ne plus laisser passer le temps sans veiller à garder les liens qui importent. Sous l’éclairage doux des réverbères, leurs ombres s’étirèrent et se confondirent, unissant à nouveau deux âmes séparées par l’oubli mais réunies par une affection indéfectible.