Lucie se réveillait tous les matins dans le même appartement qu’elle partageait avec Marc depuis cinq ans. Les murs étaient peints d’un blanc éthéré, sans signes de personnalisation, comme une toile restée vierge par négligence plutôt que par choix. Quelques photographies d’eux deux ornaient les étagères, mais Lucie remarquait que la plupart d’entre elles dataient de leurs premières années ensemble, avant que le silence ne s’installe entre eux.
Ce matin-là, tandis qu’elle préparait le café, elle entendait le léger bourdonnement de la télévision dans le salon où Marc était déjà assis, le regard rivé sur l’écran, absorbé par les nouvelles du matin. Elle posa les tasses sur la table avec un bruit sourd, cherchant désespérément à initier une conversation, même anodine.
« Tu as bien dormi ? » demanda-t-elle, masquant son envie de quelque chose de plus profond.
« Oui, ça va. Et toi ? » répondit-il distraitement, sans détacher le regard de l’écran.
« Oui… » répondit-elle, laissant sa phrase mourir dans l’air épais.
Lucie n’avait jamais été douée pour exprimer ses émotions, surtout avec Marc qui, bien que gentil, semblait incapable de comprendre l’angoisse qui la rongeait. Elle se souvenait des fois où elle s’était sentie obligée de réduire ses ambitions pour ne pas le déranger. Les petits commentaires passifs mais décisifs qui l’empêchaient de prendre des décisions sans ressentir une pointe de culpabilité.
Quand elle descendit à la boulangerie ce matin-là, elle croisa Mme Dupont qui, comme d’habitude, lui offrit un sourire chaleureux et une baguette encore chaude. « Salut Lucie, comment va la vie ? » demanda-t-elle avec une sincérité réconfortante.
« Ça va, merci. Et vous, ça va ? » répondit Lucie, savourant ce moment de banalité honnête.
Alors qu’elle marchait vers chez elle, baguette à la main, un sentiment d’agitation grandissait en elle. Elle avait toujours souhaité ouvrir une petite boutique de thé, un rêve qu’elle avait rangé dans un coin de sa tête, s’étant convaincue que ce n’était pas le bon moment, ou qu’elle ne devait pas perturber leur routine.
Ce soir-là, lorsqu’elle rentra chez elle après une journée de travail monotone, elle trouva une lettre non ouverte de sa sœur, Marie. Elle la prit avec hésitation, sachant que Marie, avec sa personnalité audacieuse, ne se retenait jamais de dire ce qu’elle pensait. En la lisant, Lucie sentit des larmes lui monter aux yeux. “Ma chère Lucie, tu mérites de vivre pour toi-même. N’attends pas que quelqu’un te donne la permission de le faire”, disait la lettre.
Les mots résonnaient en elle. Elle se regarda dans le miroir ce soir-là, une réflexion qu’elle avait rarement pris le temps d’examiner de près. Elle vit une femme qui avait trop longtemps laissé les attentes des autres dicter sa vie.
Le lendemain, elle prit une décision. Elle chercherait un local pour sa boutique. Si elle ne le faisait pas maintenant, elle avait peur de se perdre à jamais dans un quotidien qui n’était pas le sien.
À son retour de son tour de reconnaissance, elle trouva Marc dans le salon, les yeux fixés sur la télévision comme à son habitude. Elle s’assit à côté de lui, silencieuse pendant un moment, rassemblant son courage.
« Marc, j’ai réfléchi », commença-t-elle finalement. « Je veux ouvrir un magasin de thé. C’est quelque chose que je veux vraiment. »
Il y eut une pause, et le silence s’étira entre eux comme une corde tendue. Marc finit par détourner son regard de l’écran, rencontrant ses yeux.
« Si c’est ce que tu veux vraiment, tu devrais le faire », dit-il, sans contestation, mais avec une curiosité nouvelle.
Lucie sentit une vague de soulagement et d’incertitude à la fois. Mais surtout, elle ressentait quelque chose de nouveau, une lueur d’espoir, un désir de reprendre le contrôle de sa vie.
Les jours qui suivirent furent remplis de prises de rendez-vous, de visites de locaux, de discussions avec des fournisseurs. Elle sentait son cœur battre plus fort à chaque nouvelle étape franchie, chaque défi relevé.
Finalement, elle se tenait devant le miroir du petit local qu’elle avait trouvé. Elle regardait son reflet dans la vitre, les murs du futur magasin de thé derrière elle, et se surprit à sourire. C’était un sourire qu’elle n’avait pas reconnu depuis longtemps, celui d’une femme ayant enfin pris une décision pour elle-même.