Je me suis toujours demandé pourquoi certaines choses de mon enfance me semblaient floues, comme si un voile fin les enveloppait. Aujourd’hui, je me retrouve à écrire cette confession, espérant que mettre des mots sur ce sentiment me libérera.
Je trie de vieux cartons dans le grenier, la poussière dansant à la lumière du matin filtrée par la petite fenêtre sale. Mes mains tombent sur un petit cahier bleu, écorné par le temps, caché sous une pile de papiers. C’est un carnet de croquis que je ne reconnais pas immédiatement.
En l’ouvrant, je suis accueilli par des dessins maladroits de maisons, de visages souriants, et de familles tenant la main. Les traits sont ceux d’un enfant. Je souris, nostalgique, en feuilletant les pages, jusqu’à ce que je tombe sur une note pliée en quatre, glissée entre deux pages.
L’écriture est tremblante, comme si chaque mot avait été prononcé avec hésitation. En dépliant le papier, je reconnais ma propre écriture enfantine : “Pourquoi tu nous as quittés, papa ? Maman pleure toujours.” Chacune de ces phrases frappe mon cœur, éveillant un souvenir enfoui depuis longtemps.
Je me souviens maintenant, vaguement, de mes premières années, où un silence pesant régnait après le départ de mon père. Ma mère ne parlait jamais de lui, comme si son nom était interdit. Les semaines se transformaient en mois, et les mois en années, et je me suis habitué à son absence. Mais ce carnet, ce cahier bleu, contient ma vérité d’enfant, une vérité que j’avais enfouie.
Je me rends compte que cette note n’a jamais été lue par qui que ce soit. Elle était un cri silencieux d’un enfant cherchant des réponses. Mon cœur se serre tandis que je la relis, mes doigts tremblant légèrement.
Ce qui me bouleverse, c’est la prise de conscience que cette blessure a guidé inconsciemment tellement de mes choix dans la vie. Ma peur de l’abandon, mon besoin constant de prouver ma valeur, comme si je cherchais sans cesse à combler un manque que je ne comprenais pas.
Je décide de parler à ma mère. Elle a toujours évité le sujet, pensant sans doute me protéger. Lors de notre conversation, assise ensemble dans la cuisine, toutes ces années de silence et de non-dits se brisent.
“Je t’ai toujours protégé, tu sais,” dit-elle doucement. “Je ne voulais pas que tu souffres encore plus.”
Je comprends alors que son silence était une façon de m’aimer, imparfaite mais pleine de bonnes intentions. Nous pleurons ensemble, libérant des années de douleur mal comprise.
Ce petit carnet bleu m’a offert une vérité longtemps cachée. Pas seulement sur l’absence de mon père, mais sur moi-même. La douleur que j’avais ignorée est devenue un chemin vers la compréhension et l’acceptation.
En revisitant ce carnet, je ne cherche plus à combler un vide. J’accepte qu’il fait partie de moi et qu’il m’a façonné, pour le meilleur et pour le pire.
J’écris cela maintenant avec une paix que je n’avais jamais connue. Grâce à ce petit carnet bleu, je comprends que même les blessures enfouies peuvent devenir des sources de force une fois que nous les affrontons. Et je suis enfin prêt à avancer, plus léger, plus complet.