Luc marchait d’un pas lent le long du quai de la Seine, où la lumière automnale se frayait un chemin parmi les feuilles dorées flottant doucement au vent. Ces promenades étaient son réconfort depuis des années, un rituel qui lui permettait de réfléchir, de rêver, et parfois de voyager dans le passé. En ce jour particulier, il était plongé dans ses pensées, presque trop occupé pour remarquer le visage familier qui se dirigeait vers lui.
C’était Jeanne, son amie d’enfance. Ils avaient partagé tant de souvenirs lors de leurs jeunes années dans cette même ville. Puis la vie les avait séparés, sans éclats ni drames, juste la dérive naturelle du temps. Leur séparation n’avait jamais été abordée, une sorte de mystère enveloppant leurs vies respectives.
Leurs yeux se croisèrent, et un sourire timide se dessina sur leurs lèvres, même s’il était empreint d’un mélange d’incrédulité et d’hésitation.
“Jeanne ?” murmura Luc, sa voix trahissant autant la surprise que la joie.
“Luc ! C’est bien toi ! Après toutes ces années…” répondit Jeanne avec un rire doux mais nerveux.
Leur conversation commença lentement, comme si chaque mot était un pas prudent sur un chemin instable. Les questions d’usage sur la vie actuelle furent échangées, et avec chaque réponse, l’espace entre eux semblait se réduire.
“Tu viens souvent ici ?” demanda-t-elle, regardant autour du paysage qui leur était si intime.
“Oui, presque chaque matin. Cela m’aide à réfléchir. Et toi, que fais-tu ici ?”
Jeanne hésita un instant. “Je ne sais pas vraiment. Je suppose que je cherchais quelque chose. Peut-être même quelqu’un sans le savoir.”
Le silence qui suivit était lourd, mais pas inconfortable. Il y avait une compréhension tacite de la profondeur de ce moment. Ils continuèrent leur promenade côte à côte, leurs pas s’harmonisant comme s’ils avaient été séparés la veille seulement.
Ils bavardèrent des souvenirs, des petites aventures partagées, des rires échangés et des rêves d’enfance. Chaque histoire racontée semblait libérer un peu plus de la tension accumulée pendant les années de silence.
“Je me souviens de cette fois où nous avons désespérément essayé d’attraper des lucioles dans le jardin de ma grand-mère,” dit Luc, un éclat nostalgique dans les yeux.
Jeanne rit doucement, ses yeux brillaient de la même chaleur. “Et elles nous ont toujours échappé. Peut-être que c’était mieux ainsi,” dit-elle, son regard se perdant dans le lointain. “Peut-être que certaines choses ne sont pas faites pour être capturées.”
Un autre silence s’installa, mais cette fois, il était différent, empreint d’une paix tranquille. Ils s’arrêtèrent finalement sur un banc, face à la rivière qui continuait son cours, imperturbable par leur histoire.
Luc se tourna vers Jeanne, une question sur les lèvres, mais il hésita, ne sachant pas comment aborder la douleur floue de leur séparation passée. Cependant, avant qu’il ne trouve les mots, Jeanne posa sa main sur la sienne.
“Je suis désolée de ne pas avoir gardé le contact,” dit-elle, sa voix à peine plus forte qu’un murmure. “La vie m’a emportée loin.”
Luc prit une inspiration profonde. “Moi aussi, je suis désolé. Peut-être que j’aurais pu faire plus d’efforts, mais…”
Elle hocha la tête, ses yeux trahissant une compréhension mutuelle. “Parfois, je pense que les silences disent plus que les mots.”
Ils restèrent là, main dans la main, sans besoin de remplir le moment de paroles inutiles, appréciant simplement la redécouverte de ce lien autrefois perdu mais apparemment indestructible. La reconnaissance de leur complicité leur permit de laisser derrière eux les regrets et les non-dits.
En quittant le banc, ils savaient que leur rencontre n’était pas un hasard, mais une sorte de réconciliation orchestrée par le temps.
“Je suppose que nous pourrions reprendre là où nous nous étions arrêtés,” proposa Luc avec un sourire sincère.
Jeanne sourit en retour. “Oui, je crois que nous le pourrions. Et peut-être que cette fois-ci, nous attraperons enfin ces lucioles.”
Ils marchèrent ensemble, sous le ciel d’un bleu éclatant, leur silence maintenant rempli de promesses pour demain.